« La vérité ne peut être longtemps cachée » — Cœur d’Opale

Cœur d’Opale minaudait sur la nourriture à ses pattes, la contemplant d’un regard pensif. Il n’avait pas très faim et la croquait sans grand intérêt. Voilà quelques jours qu’il avait de plus en plus de mal à se nourrir et à trouver le sommeil. Pas que cela changeait grand-chose à son état mais il se sentait affaibli et il n’aimait pas ça. En plus, il voyait de plus en plus mal. Il entendait peut-être mieux qu’avant, mais le monde autour de lui était devenu flou et informe. Les félins, les arbres, les plantes, le tas de gibier, il ne reconnaissait plus ce qu’il avait connu.

Il soupira en faisant la moue, remuant les moustaches. Le jeune guerrier s’était relevé en s’ébrouant, guettant avec attention si étoile Eternelle n’était pas dans le coin. Elle ne perdait rien pour attendre… Depuis qu’il lui avait tenu tête, il écopait de toutes les corvées possibles et inimaginables dans le campement. Cœur d’Opale fait ci, Cœur d’opale va avec cette patrouille, Cœur d’opale va trier le tas de gibier blablabla… Il ne pouvait plus faire sa toilette tranquille sans qu’elle ne le rabroue. La large cicatrice sur la joue qu’elle lui avait laissée le picotait encore. Heureusement, il ne voyait plus son reflet, il aurait eu l’air misérable.

-Bonjour Cœur d’Opale. Cela te tente une partie de chasse ? ou de pêche, c’est comme tu veux.

La voix dans son dos le fit légèrement sursauter, il se retourna pour dévisager un visage familier. Poudre de Mite, un ami d’enfance qu’il avait un peu perdu de vue avec le temps. Son meilleur ami avait toujours été Cœur de Jais, mais Poudre de Mite et lui avaient beaucoup joués ensembles lorsqu’ils étaient apprentis. Il appréciait le matou calme et posé, plus a son image que les autres. Deux forces tranquilles. Ils s’entendaient bien mais voilà bien longtemps qu’ils ne s’étaient pas retrouvés seuls, tous les deux. L’autre s’était rapproché de lui et avait ouvert ses grands yeux bleus. Hm, il le distinguait mieux de prêt. Cœur d’Opale esquissa un sourire tendre, lui donnant un léger coup de truffe sur la tête en signe de salutation. Il n’eut pas le temps de répondre que l’autre ajouta avec un peu d’empressement

Cela fait longtemps que nous n’avons pas contribué ensemble au bien-être du clan… Alors ?

Cœur d’Opale émit un léger rire. Poudre de Mite était un félin singulier qu’il appréciait, mais il avait toujours sa manière bien a lui de parler. Il hocha doucement la tête en soufflant d’une voix chaleureuse

-Pourquoi pas, voilà un moment que je ne suis pas sorti chasser avec un ami. Et puis comment résister à tes grands yeux doux… Va pour la pêche, allons à la rivière.

Cœur d’Opale était heureux qu’il ne lui demande pas une séance d’entrainement… Avec la perte de sa vue, il sentait ses capacités combatives diminuer de jours en jours. Cependant, ses performances pour la chasse demeuraient intactes. Bien qu’il ne vît pas grand-chose, il arrivait à entendre et à se concentrer sur tous les petits bruits qu’il ne percevait pas avant. Ils se dirigèrent donc vers la sortie du campement et empruntèrent le petit sentier qui menait à la rivière. Le soleil perçait entre les arbres de la forêt de pin, le sol sec et épineux craquait sous leurs pattes. Les odeurs des cèdres et de la sève flottaient dans l’air, mielleuses. Les cigales sifflaient paresseusement dans l’air matinal. Le guerrier tacheté gardait son attention sur ses pattes, le regard baissé. Il n’avait pas envie de trébucher et de se ridiculiser devant Poudre de Mite. Au bout d’un moment d’un calme apaisant, il se racla un peu la gorge

-Et sinon, que deviens-tu ? Tout se passe bien pour toi dans le campement ? Haha c’est drôle, nous vivons au même endroit mais j’ai l’impression que nous nous croisons que rarement. C’est dommage…

Il avait dit ça d’un ton interrogateur et sincèrement intéressé. Ses yeux d’un ciel troublé l’observèrent avec intensité. Un voile semblait s’y être posé avec douceur.