« A force de mal, tout ira bien. » || PV. Feuille d'Aster.

PV. Feuille d'Aster

Aile Cynique. Petite Ombre. Fleur de Lycoris. Combien de noms encore ? Combien de vies encore ? Combien d’innocents devront encore trouver la mort avant que quelqu’un daigne faire quelque chose ? Combien de vies ôtées sans l’once d’un remords ? Combien de destins brisés sans qu’ils n’aient eu le temps de se réaliser ? Petite Ombre n’était qu’à l’aube de sa vie. Les autres n’étaient pas non plus à l’article de la mort. Et pourtant. Pourtant, il avait fallu que le mal leur tombe sur le dos. Il avait fallu que cette foutue épidémie les prenne en grippe. Il avait fallu que l’épée de Damoclès se place là, juste au-dessus leur crâne, et elle n’y était pas allée de patte morte pour se poser. Combien d’autres devront subir le même sort ? Tout s’était passé si vite et si peu en même temps. Les symptômes avaient été nombreux et peu à la fois, évocateur et réprobateur… Ce mal qui sortait de nulle part n’avait pas franchement de similitude avec un quelconque autre connu. Tous les trois avaient été terrassés en un rien de temps parce ce qui était un nouveau mal. Un nouveau mal contre lequel personne ne se dressait encore. Ou du moins, pas des vivants du Clan de l’Ombre. Le Clan des Étoiles était-il incapable de venir en aide aux vivants ? Ou bien laissait-il simplement faire les choses, ayant besoin de sang neuf dans ses rangs ? Est-ce que l’heure de ces trois-là avait vraiment sonné là-haut ? Est-ce que leurs ancêtres les avaient réellement appelés ou bien s’étaient-ils contenté de les recueillir comme il se devait, malgré tout. Malgré son nom auréolé, Étoile de Cuivre n’en savait fichtrement rien. Depuis qu’il avait été promu Chef, nul chat baigné de lumière n’était venu lui rendre une quelconque visite. À croire qu’il avait été délibérément oublié au moment même où il avait accédé au trône. Comme beaucoup de meneur, il n’était pas l’épaule sur laquelle se reposaient généralement les ancêtres. Ces derniers préféraient généralement aller chercher les oreilles un peu plus sages des Guérisseurs, ceux pour qui les rivalités claniques sont amoindries, ceux pour qui le devoir rime avec aider et ce qu’importe la provenance ou le passé.

Un Guérisseur… Le Clan de l’Ombre en a un aussi, il ne fait pas défaut à cette belle tradition. Feuille d’Aster ? Qu’a-t-il fait depuis ? Qu’a-t-il tenté pour les sauver ? A-t-il tout tenté ? A-t-il essayé tout l’attirail de remède à sa disposition ? A-t-il mobilisé toutes ses connaissances pour tenter l’impossible ? Et à peine ses pensées s’évoquent telles dans son crâne mal éveillé et pas mal embrumé, que le matou roux et blanc les renversent avec violence. Pourquoi est-ce qu’il ne l’aurait pas fait ? Pourquoi douter de son Guérisseur dans un moment aussi crucial qu’une épidémie ? Ce n’est certainement pas en se montant l’esprit que l’hécatombe s’arrêterait. Surtout pas contre le seul qui semble pouvoir y faire quelque chose. C’est vrai, le matou rouille avait beau avoir plusieurs vies, plusieurs lunes et saisons derrière lui, il avait beau être sorti victorieux de bien des batailles, celle-ci ne s’alignait clairement pas sur son champ de bataille à lui. De ce point de vue-là, il était complètement dépassé. Mélanger les feuilles, triturer les baies et faire de la bouillie de je ne sait trop quoi, ce n’était pas ce qu’il avait appris lui… Plutôt que de soigner, on lui avait appris à blesser. Sa façon d’aider à lui n’était pas la même que celle du Guérisseur. Non. Lui aidait en prenant les bonnes décisions tactiques, en usant de son corps et de son esprit pour défendre les siens et veiller à ce que tout le monde ait de quoi béquer lorsque la saison et le ciel le permettait. Et s’il était certain que son camarade tentait de faire son maximum, le meneur ne pouvait s’empêcher de faire les cent pas dans sa tanière à peine éveillé des quelques minutes passées à tenter de trouver le sommeil. Essayant d’essuyer cette envie d’aller lui demander des comptes sur les récents événements, il parvint à stopper ses pattes l’espace d’une poignée de secondes, ne laissant pas même le temps à la poussière de retomber sur le sol, encore moins aux sillons creusés par les allées et venues de se résorber par je ne sais quel miracle. Une lune que cela durait. Combien de temps encore ? Fallait-il demander de l’aide aux autres Clans ? Subissaient-ils eux aussi ce mal ? N’y avait-il que les matous de l’Ombre qui étaient châtiés ? Tant de questions planaient dans l’esprit du matou, embrouillant sa logique et son calme coutumier qu’il brisa le peu de distance qui le séparait de l’antre du Guérisseur, entrant sans même s’annoncer :

« Feuille d’Aster ? »

« A force de mal, tout ira bien. »

Il y avait d'abord eu Aile Cynique. Puis ça avait été au tour de Petite Ombre. Par la suite, Fleur de Lycoris en avait fait les frais. Ils avaient tous les trois été les victimes d'un ennemi surpuissant, une foudroyante fatalité. On leur avait volé la vie, on les avait froidement assassiné. Malheureusement le meurtrier était inattrapable, impalpable, et pour le moment inarrêtable. Cette maladie étrange et nouvelle se propageait à une vitesse fulgurante et ne laissait aucune chance à ses victimes.
Feuille d'Aster en était énormément affecté, il se sentait impuissant, il voyait ses camarades mourir entre ses pattes sans pouvoir rien y faire. Chant des Grenouilles avait tenté de le rassurer, il n'était pas un mauvais guérisseur, il ne pouvait pas tout contrôler. Certes, mais il devait tenter plus, il devait continuer, il ne pouvait pas se tourner les griffes en attendant que le clan tout entier soit décimé.
Au départ, la maladie était peu visible, cela commençait par de la fatigue, puis des rougeurs apparaissaient ainsi que des pertes de poils. Peu à peu la maladie se développait, les touffes qui tombaient été de plus en plus importantes et le malade ne ressentait quasiment plus aucune chose qui le touchait, il n'arrivait plus à coordonné ses mouvements. La troisième phase était très difficile à voir : pendant 5 levés de soleil, le chat vomissait, avait des maux de ventre et de tête, avait la diarrhée, Fleur de Lycolis avait même perdu la mémoire! Chacun semblait délirer dans son sommeil et pour finir, quand le chat ne réagissait même plus, la mort venait le faucher et l'emporter.
L'odeur infecte de la maladie semblait persistante dans la tanière et Feuille d'Aster avait bien tenté en ramenant des plantes, ou du moins ce qu'il en restait, aux odeurs fortes pour couvrir l'horrible fumet mais pourtant il ne sentait que ça.

Quand Etoile de Cuivre entra dans sa tanière ce matin là, l'air nerveux et peut-être même agacé, Feuille d'Aster n'en fut pas étonné. Il ne s'était pas annoncé mais le matou faon l'avait senti venir, il savait qu'il était préoccupé par toutes ces morts. Allait-il devoir s'expliquer? Le guérisseur se sentait tendu, régler des comptes n'était surement pas le moment alors que voulait-il lui dire? Le presser pour trouver un miracle remède? Lui dire qu'il était un mauvais soigneur? Le stress rendait le matou roux sable pessimiste et il avait du mal à garder son calme. Cependant quand le matou roux et blanc l’interpella, il lui répondit d'une voix qui se voulait posé et douce :

"Etoile de Cuivre... Je me doutais que tu viendrais. Qu'est ce qui t'amène?"

Bien sûr qu'il savait ce qui amenait Etoile de Cuivre dans sa tanière, il essayait cependant de gagner du temps avant d'aborder le dur sujet des décès du clan. Il n'avait pas envie d'en parler mais pourtant il le fallait.

Ʃkaemp はは

PV. Feuille d'Aster

La distance entre sa tanière et celle de son fidèle Guérisseur semblait avoir été franchie en un quart de seconde. Une sorte d’ellipse temporelle, une sorte de distance qu’il n’avait pas vue, ni même ressenti, trop empreint à un désordre mental qui lui revenait, malgré tout, contre tout. Il avait beau paraître calme d’apparence, son corps le trahissait sans qu’il puisse y faire grand-chose. Du moins, sans qu’il veuille y faire grand-chose. Il était tendu. Comme beaucoup de ses camarades. Personne n’était habitué à voir ainsi les siens dégringoler et sombrer dans le mal, puis la mort. Personne ne pouvait rester insensible et parfaitement droit alors qu’une partie de son monde s’effondrait. C’est pourtant ce qu’il devrait faire. C’est pourtant l’allégeance qu’il avait prêtée en prenant les rênes de son Clan. N’était-ce pas là le rôle d’un Meneur que de garder la tête sur les épaules quelle que soit la situation ? N’était-ce pas son rôle à lui que de garder son calme, même dans les situations les plus dramatiques ? N’était-ce pas à lui de garder le cap pour aider les autres ? Et pourtant, il était comme tous les autres… Il n’était en rien supérieur sur ce point, même avec plus de vie que les autres. Il subissait tout de même le contrecoup de chacune, comprenant plus que quiconque la valeur d’une seule de ces existences. Lui connaissait la douleur d’en perdre une. Lui connaissait la peur de ne pas savoir ce qu’il attendait. Il l’avait ressenti lorsque sa première essence lui avait été retirée. Et s’il ne l’avouerait à personne, il en avait eu d'âcres frissons. Il avait toujours gardé ces maux-là pour lui, toujours garder ses impressions et ses états d’âme pour lui. Ne serait-ce que pour ne pas inquiéter les siens. Et malgré le trouble qui germait dans son esprit, il devait encore une fois faire face. Il devait encore une fois puiser au fond de lui, encaisser, tout garder, et continuer d’avancer.

Il n’avait pas croisé une seule âme en passant d’une tanière à l’autre. Cela valait certainement mieux. S’il était certain de trouver les bons mots pour rassurer, pour tenter de consoler, il était bien moins incertain du revers de peine auquel il aurait droit. Souhaitait-il être davantage éreinté ? Pas plus que cela… Il avait lâché son appel au Guérisseur en franchissant le seuil de sa tanière. Il n’avait pas pris la peine de marquer une pause devant cette dernière pour attendre la permission d’entrer. Avait-il réellement à la demander ? Et alors qu’il n’avait pas décroché son regard de ses pattes en foulant le seuil de l’antre, il releva immédiatement son regard franc et dur lorsque ses oreilles frémirent sous les enjambées du matou. Trouvant sans peine la silhouette svelte de son acolyte roux, il lui laissa l’opportunité de s’approcher et de répondre à son appel avant d’entrer dans le vif du sujet. Et si Feuille d’Aster n’était pas du genre dupe, la question qu’il servit à Étoile de Cuivre comme si les récents événements ne lui étaient pas restés dans l’esprit, sonna comme un rituel lénifiant. Et si d’accoutume, il aurait été dans la nature du Meneur de rentrer dans le vif du sujet, de répondre du tac au tac, il se garda de réagir ainsi. Après tout, il était venu ici en quête de réponses et, en y songeant bien, ce n’était pas en se heurtant violemment à l’autre mâle, qu’il obtiendrait gain de cause. Cela aurait peut-être un effet apaisant que de déverser sa colère sur un autre, cela l’ôterait certainement d’un poids, retirait un point à la pression qu’il subissait, mais à quel prix ? Et pour quel revers ? Réfléchi plus que beaucoup le penserait, le matou imposant, se tint un peu plus calme que d’habitude, ne radoucissant en rien son regard ambré, ni même sa voix d’un froid devenu naturel :

« Parle-moi de ce mal. Dis-moi ce que tu en sais, ce que tu en as appris. Dis-moi que les Étoiles nous aideront à trouver un remède et ne resteront pas sourds à cette épidémie qui nous vole nos camarades. »

« A force de mal, tout ira bien. »

Feuille d'Aster savait qu'il devait parler avec Etoile de Cuivre des récents événements mais une boule amer de défaite restait coincée dans sa gorge. Le meneur semblait à la fois agité et maître de ses émotions, un peu comme Feuille d'Aster finalement. Il semblait réfléchir ce qui effrayait un peu le guérisseur qui avait l'habitude de le voir beaucoup plus impulsif. Quelque chose se passait, le mal qui les touchait les transformait peu à peu, malades comme sains, tous changeaient. Enfin, le matou bicolore prit la parole :

"Parle-moi de ce mal. Dis-moi ce que tu en sais, ce que tu en as appris. Dis-moi que les Étoiles nous aideront à trouver un remède et ne resteront pas sourds à cette épidémie qui nous vole nos camarades."

Son ton était dur et froid, comme quoi cette maladie ne les changeait pas complètement. La boule dans sa gorge prenait de plus en plus de place. Tout le clan attendait de lui qu'il les aide, les éclaire, même le chef. Il ne savait pourtant rien, n'avait aucune solution miracle et l'admettre ne faisait que rendre tout ça plus réel et douloureux. Il continua de faire du tri dans ses affaires dans l'espoir qu'une occupation pour ses pattes occuperait aussi son esprit mais... Non rien. Il répondit après un long moment. Un moment surement interminable pour Etoile de Cuivre mais... Mais il avait besoin de trouver la bonne formule pour parler de ça.

"J'aimerai pouvoir te confirmer tout ça. Seulement... Je ne peux. Je ne sais rien de cette maladie si ce n'est qu'elle semble incurable et que le Clan des Etoiles reste muet à toutes mes demandes et prières."

Feuille d'Aster se sentait abandonné, démuni face à cette tache trop dur pour lui. Comment pouvait-il aider son clan? Devaient-ils demander de l'aide aux autres habitants de la forêt? Et surtout, est-ce qu'Etoile de Cuivre accepterait de demander de l'aide aux autres clans?

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