« On ne saurait penser à tout. » || PV. Chagrin Lunaire

Que faire ? Quoi faire quand on ne sait pas comment se rendre plus utile ? Comment faire lorsque ce n’est de toute façon pas possible ? Comment faire pour combattre ce mal dont même le Guérisseur n’arrive pas à soigner ? Comment prétendre pouvoir faire, quand celui qui a appris les plantes et les maux ne sait lui-même trouver un remède ? Impossible. Pas possible. Du moins, pas de cette façon-là. Étoile de Cuivre en était persuadé, ce n’était pas lui qui trouverait ce remède par miracle. Et certainement pas en restant à broyer du noir dans le fond de sa tanière où nul n’osait venir le déranger. Grognant contre lui-même, contre le Clan des Étoiles et contre tout ce qui pouvait croiser la route de ses pattes ou de son esprit, le matou roux en voulait à la Terre entière n’être capable de rien sur ce coup. Lui qui avait toujours relevé la tête devrait pourtant être encore capable de le faire. Ne lui restait-il pas encore de nombreux compagnons sur lesquels il devait s’évertuer à veiller ? N’y avait-il pas d’autres gueules à nourrir pour rester ainsi cloîtré à n’en rien faire ? Lui qui était pourtant si sage pour son âge, s’y prenait comme le plus juvénile des chatons dans cette situation sur laquelle il n’avait pas la patte. Tentant de retrouver un peu de stabilité, faisant le premier pas vers une quelconque paix intérieure bien plus propice à la réflexion et à l’aide concrète, le chat aux larges épaules cessa de piétiner les sillons qu’il avait creusé à s’affoler ainsi, bloquant net tout mouvement de ses pattes et asseyant son séant sur le sol poussiéreux de son antre. Tentant de mettre un peu d’ordre dans son esprit, le matou secoua sa tête, comme si cela pouvait avoir un quelconque effet d’ordre. Fixant finalement un point invisible au loin, il tenta de faire le vide, reprenant ensuite les idées qui revenaient une par une.

Et s’il ne parvint pas à faire des miracles ainsi, il retrouva au moins ce calme et cette faculté à tenter de voir les choses sous tous les angles et toutes les coutures. Et finalement, au bout de quelques longues minutes de tri intensif, de pistes et d’autres, il se décida à aller prendre un peu l’air, se disant qu’un peu d’exercice lui apporterait certainement plus que de rester-là. Prenant une grande bouffée d’oxygène au moment même où il passa le seuil de sa tanière, le Chef du Clan fit son apparition sous les yeux incrédules de quelques chatons et des chats s’affairant au Camp. Dans son cafardage intellectuel, il avait tout de même tenu à garder le cap. Il avait ainsi donné des directives claires à son second qui s’était naturellement efforcé de maintenir les troupes dans le droit chemin comme il le lui avait demandé. Il le relèverait de ses fonctions le lendemain à l’aube et se chargerait de lui offrir un peu de repos à lui aussi. Un léger rictus en guise de masque d’apparat, le mâle couleur rouille traversa sans hâte son campement avant de le quitter, laissant des chats occupés et presque sans inquiétude vaquer à leur occupation. Le tunnel de ronce passé, le matou n’hésita pas une seconde et s’élança à toute allure le sud, maintenant un cap invisible vers la frontière avec le Clan du Tonnerre. Prenant à chaque inspiration les effluves et parfum de ce bout de marécages qu’il connaissait tant, il ne marqua aucun arrêt dans sa traque. Depuis son apprentissage, il en avait parcouru du chemin en ce qui concernait la chasse. Choisissant de suivre une piste plutôt qu’une autre, le matou porta toute son attention sur la piste d’un lièvre qui semblait s’être bien égaré en terres inconnues. Pourchassant sa fragrance jusqu’à avoir un visuel sur le poil brun de l’animal, le grand matou cuivre, l’audace plein les yeux et les oreilles restant sourdes à toute vibration, Étoile de Cuivre s’abattit sur le dos du lagomorphe alors que ce dernier piétinait la surface dure et dégageant une odeur pestilentielle du Chemin du Tonnerre.

Il n’avait pas eu grand-chose à faire. Simplement écouter son instinct. Simplement suivre les directives que son corps lui dictait. Simplement répondre à ce qui semblait être dans sa nature, dans ses gênes, et qui était également en grande partie le fruit d’un apprentissage qu’il avait subi. Subi. Quel drôle de mot. Il avait apprécié cet apprentissage. Il avait aimé apprendre aux côtés de son mentor. Il avait pris du plaisir à refaire cent fois le même mouvement pour atteindre la bonne position, ressentir les bonnes vibrations et trouver le bon équilibre. Si la partie martiale avait été une véritable partie de plaisir avec la massivité de son poids et la puissance de ses muscles, le côté traque lui avait demandé un peu plus de doigté. Ce qui était un avantage au combat, était un inconvénient à la chasse. Son pelage en grande partie de la couleur de la neige ne l’avait pas non plus aidé à se fondre dans le décor sombre des terres du Clan de l’Ombre. Pour toutes ces raisons, la traque avait longtemps été un poids pour lui. Jusqu’à ce qu’il comprenne ce qui était vraiment utile. Jusqu’à ce qu’il en mesure l’importance. Jusqu’à ce qu’il daigne faire l’effort de voir au-delà des difficultés. Jusqu’à ce qu’il se donne la peine de travailler plus là où il y avait des lacunes à combler. Et c’est en changeant d’état d’esprit. C’est en trouvant au fond de lui une source de motivation, qu’il avait gravi les échelons un à un pour atteindre un niveau convenable. Il ne demandait pas à être le meilleur dans ce domaine. Il ne demandait pas à être le plus rapide des traqueurs, ni même le plus agile. Non. La seule chose qui lui importait, c’était de pouvoir remplir l’estomac de ses camarades de Clan.

Et c’est sans même réfléchir qu’il avait capturé ce lapin. Il n’avait pas spécialement songé au fait qu’il devait camoufler son pelage blanc. Il n’avait pas non plus songé au fait qu’il faille être silencieux en faisant attention à là où ses pattes devaient se positionner, là où les brindilles avaient trouvé refuge et toutes ces choses auxquels un novice doit faire attention. S’il n’était pas le plus âgé des Guerriers du Clan, il n’était pas non plus le plus juvénile et celui avec le moins d’expérience dans le domaine. Et c’est avec la même insouciance, la même habitude et le même sentiment de confiance en lui, qu’il avait franchi la barrière invisible entre la sûreté de ses terres et tous les dangers que représentait ce chemin âcre grisonnant. Petit, on lui avait compté que mille et uns monstres courraient sur ce dernier, on lui avait dit que de nombreux Guerriers, tous plus valeureux les uns que les autres, avaient trouvés soit la mort, soit de quoi rejoindre la Tanière des Anciens après avoir subi l’offensive d’un monstre. Pour sa part, les rares qu’il avait croisé s’était toujours contenté de rester sur leur chemin sans jamais changer leur trajectoire monotone. Un peu comme un matou au parcours un peu trop rangé, les monstres ne bifurquaient que trop rarement de leur artère sombre. Il n’avait laissé aucune chance à sa proie. Il s’était abattu sur son dos comme il l’aurait fait avec un adversaire de son gabarit, l’écrasant de tout son poids. Il ne lui avait pas non plus laissé le temps de comprendre quoi que ce soit. Ses crocs s’étaient logés dans sa nuque, lui arrachant sa vie dans une immédiateté macabre. Le rouquin s’était empressé de remercier le Clan des Étoiles d’offrir de quoi manger à ses camarades à défaut de leur offrir le remède dont ils avaient besoin pour guérir de ce mal qui les frappait. Et s’il s’était attendu à la potentialité de croiser un monstre, il ne s’attendait pas à ce que ce soit un matou qui lui adresse une parole lourde d’une moralité qui le fit sourire. Prenant le temps de tirer complètement son lapin sur le bas-côté, le meneur ayant bien pris le temps de choisir ses mots avant d’ouvrir la gueule, juste après avoir fait volte-face pour planter son regard ambré emplit d’une émotion de supériorité non-dissimulée, claironnant :

« Voilà qui me fait plaisir qu’un rival s’inquiète de mon sort. C’est très louable à toi, mon chaton, mais je pense n’être pas suffisamment sénile pour assurer ma sûreté. »