« Une épine dans l'aile. » ▬ Envol de Corbeau

Le soleil se levait à peine lorsque Ruisseau de Rose sortait de la tanière des guerriers. Une fine couche de neige recouvrait la lande et des volutes de fumée blanche s'échappaient des museaux des rares chats déjà debout. La lieutenante tricolore avait prit un peu de retard sur son horaire quotidienne, mais ce n'était pas sa faute si le soleil avait décidé de se lever plus tard aujourd'hui. Ruisseau de Rose s'étirait de nouveau, puis elle filait vers la colline où elle avait l'habitude de former les patrouilles. Au pied de la colline se tenaient déjà quelques chats, prêts à partir en patrouille frontalière ou de chasse. La lieutenante tricolore n'avait plus qu'à les partager dans différents groupes et leur attribuer une mission. Elle balayait la foule du regard, puis commençait:

« Griffe Sombre, prends Griffe Rousse et Museau de Quartz pour patrouiller près du chemin du tonnerre. Quant à Perce-Neige, prends Plume de Sauge et Museau Nuageux pour patrouiller près des falaises. Croc de Terre, tu iras chasser avec Danse de Pétale près des falaises, tandis que moi et... »

Ruisseau de Rose cessait aussitôt de parler. Alors que les groupes se formaient sous ses yeux, une silhouette sombre restait immobile devant elle. Un regard bleu perçant la foudroyait. Envol de Corbeau. La lieutenante tricolore avait omise d'assigner sa sœur adoptive à une patrouille et il était déjà trop tard pour faire quelques changements dans les groupes préexistants. De plus, Ruisseau de Rose voyait bien que la guerrière écaille-de-tortue lui lançait inconsciemment un défi. Celui d'oser prononcer son nom en tant que sa partenaire pour la session de chasse d'aujourd'hui. La lieutenante tricolore ne se laissait pas impressionner par le regard dur de sa sœur adoptive et elle miaulait enfin:

« Moi et Envol de Corbeau, nous irons chasser près des terriers abandonnés. »

Ce matin encore, Envol de Corbeau se leva très tôt. Le soleil n'était pas encore levé mais elle commençait à avoir l'habitude de ces jours qui se raccourcissaient. Ces derniers temps elle se levait assez tôt comme si son corps ne voulait pas se mettre à l'heure, elle se levait aussi tôt qu'en été. Ou alors quelque chose l'a tracassé? Oui, il est vrai qu'elle était perturbé depuis sa dispute avec Ruisseau de Rose et la mort de Danse du Ruisseau mais.. Cela commençait à tarder.. Non?

Quand elle sortit de sa tanière pendant que les premiers rayons solaires commençaient à illuminer la plaine. Elle se rendit à l'endroit où leur lieutenante (cette très chère Ruisseau de Rose) organisait les patrouilles. La guerrière écaille-de-tortue ne voulait pas se priver de patrouille pour l'éviter, elle devait ranger sa fierté de côté pour quelques minutes grand maximum. Elle ne ferait que la croiser.
Il est vrai que la réaction d'Envol du Corbeau était assez puérile mais sous cette embrouille (qu'elles avaient eu bien du mal à expliquer au clan) se cachait une réelle blessure. Elle s'était sentie tellement trahie même si elle aurait dû s'en douter au vu du comportement de Danse du Ruisseau alors même qu'ils étaient apprentis... Ô Clan des Etoiles, pourquoi suis-je tombée sur le mauvais mâle?

Lorsque la lieutenante daigna enfin se montrer, elle commença directement à faire les patrouilles. Envol de Corbeau attendait patiemment que son nom ressorte mais rien, tous les groupes étaient fait.. Sans elle.. En faite.. Il ne restait plus que Ruisseau de Rose et elle. La guerrière vit un sombre nuage assombrir ses pensées. Pourquoi Ruisseau de Rose avait fait ça? Elle ne pouvait croire que la chatte à poil long eut été assez maladroite pour ne pas voir qu'elle était là. Elle se mit à fixer sa demi soeur avec des yeux froids, attendant qu'elle daigne prononcer son nom. En était-elle capable?

"Moi et Envol de Corbeau, nous irons chasser près des terriers abandonnés."

Chouette, elle était ravie de faire cette patrouille, peut-être aurait-elle mieux fait de rester coucher plutôt que de vouloir aider le clan. Mais son irrépressible besoin d'être utile à son clan, sa famille en quelque sorte, l'avait contrainte à se lever patrouiller.
On ne peut pas dire qu'Envol de Corbeau haïssait sa demi-soeur. Non elle l'aimait, l'adorait même. Elles avaient été si proche antan.. Mais l'amour qu'elle avait entretenu secrètement avec Danse du Ruisseau l'avait vraiment.. Blessée. Elle n'arrivait pas à croire qu'elle était sortie avec le matou qu'elle aimait.

Ruisseau de Rose savait pertinemment qu'Envol de Corbeau n'était pas très heureuse de devoir chasser avec elle. Elle le voyait par son expression ennuyée; mais elles n'avaient pas vraiment le choix. La lieutenante tricolore se levait doucement, faisant signe de la queue à la guerrière écaille de tortue qu'il était temps de partir. Ruisseau de Rose ouvrait la marche. Elle sortait du campement la première, puis se dirigeait en trottinant vers les terriers abandonnés. Le soleil brillait au-dessus de la ville des bipèdes, réchauffant le dos de la lieutenante tricolore et dessinant au sol à ses pattes antérieures une ombre grisâtre sur la fine couche de neige blanche. À chaque pas qu'elle faisait, ses pattes laissaient des empreintes sombres sur le sol blanc, comme si la chaleur de ses coussinets faisaient fondre la neige. Ruisseau de Rose se concentrait sur le craquement de la neige sous ses pattes, et elle en oubliait rapidement la présence de sa sœur adoptive derrière elle; mais lorsque la lieutenante tricolore arrivait enfin aux terriers abandonnés, elle ne pouvait plus ignorer Envol de Corbeau. Alors elle miaulait:

« Bon, tu sais ce que tu as à faire, mais soit prudente... on ne sait jamais ce qui rôde dans le coin. »

Après un bref temps d'attente, les patrouilleurs se mirent tous en route et la sœur adoptive d'Envol de Corbeau aussi. La chatte écaille de tortue se décida tout de même à la suivre suite à son mouvement de queue et elles sortirent toutes deux du camp dans la lande partiellement couverte d'une fine couche de cristaux de glace. Ses coussinets se gelaient un peu plus à chaque pas mais elle ne semblait pas y faire attention : l'agacement dû à la présence de Ruisseau de Rose surpassé le reste. Elle traversèrent donc la lande en silence, Envol de Corbeau observait les groupes qui étaient à plusieurs centaines de longueur de queue de renard. C'était l'avantage de leur territoire, ils étaient à découvert d'accord mais si un groupe avait un problème les autres seraient tout de suite prévenus. Désormais la coquette chatte se perdait dans son esprit pour éviter cette réalité tendue : sa queue fouettait nerveusement l'air.
Les deux guerrières, ou plus précisément la guerrière et la lieutenante, arrivèrent plus vite que prévu aux terriers abandonnés où des blaireaux avaient élu domicile il y a plusieurs lunes de cela. Désormais on venait faire découvrir aux apprentis les relents épouvantables de ces dangereux prédateurs.
Le miaulement de la femelle tricolore fit sursauter Envol de Corbeau :

"Bon, tu sais ce que tu as à faire, mais soit prudente... on ne sait jamais ce qui rôde dans le coin."

Bien sûr elle le savait et lui dire de faire attention l'agaçait plus que tous. La prenait-elle pour une novice inconsciente ? Elle leva les yeux au ciel pour ne pas que sa langue fourche, ce n'était pas le moment de se disputer. Cependant elle redoutait que sa sœur ne trouve un quelconque moyen pour engager la conversation et elle ne lui en aurait pas voulu de tenter de renouer le dialogue mais.. Elle ne pouvait se sortir de la tête l'image de Ruisseau de Rose et Danse du Ruisseau, ensemble et heureux. La jalousie l'étreignait violemment et la tristesse s'emparait d'elle. Elle commença le marquage du lieu comme pour tenter d'oublier tout ce qu'elle avait en tête.

Ruisseau de Rose sentait comme un étrange malaise s'installer entre elle et sa sœur adoptive, comme un fossé qui ne cessait de s'élargir entre elles. Cet étrange sentiment la fit taire aussitôt, puis elle n'attendit pas la réponse ou la protestation de sa sœur adoptive avant de s'éloigner en quête d'une proie à chasser. La lieutenante tricolore se dirigea vers le terrier abandonné le plus loin de la position où elle avait laissé sa sœur adoptive. Elle voulait éviter de la croiser de nouveau et d'envenimer encore plus la situation et leur relation. À cet instant, un mouvement sur la gauche attira l'attention de Ruisseau de Rose. La lieutenante tricolore tourna instinctivement la tête juste à temps pour repérer la queue en pompon blanche d'un lapin disparaître derrière un bosquet isolé. Ruisseau de Rose attendit un instant, ses oreilles tremblantes d'excitation à l'idée de courser ce lapin, pour voir si celui-ci allait ressortir de sa cachette. Comme défaite, et comme s'il avait entendu les pensées de la lieutenante tricolore, le lapin bondit en dehors du bosquet et fit trois petits bonds vers l'avant avant de s'arrêter. Ruisseau de Rose comprit que c'était sa seule chance et s'élança à toute vitesse en direction du lapin. Celui-ci dressa les oreilles, puis se leva sur ses pattes postérieurs avant de filer dans l'autre sens. La lieutenante tricolore dérapa sur la fine couche de neige, mais parvint à filer sur les talons du lapin. Elle le força à exécuter un virage en le coursant sur la droite, puis se jeta au dernier moment sur la gauche, toutes griffes dehors, afin de saisir sa proie et la stopper net dans sa course. Ruisseau de Rose planta ses crocs dans le cou de l'animal qui fut pris de soubresauts avant de tomber inerte sur la neige, son sang écarlate tachant le sol blanc. La lieutenante tricolore lâcha son butin pour reprendre son souffle, de nombreuses volutes blanches se dessinaient devant son museau au rythme de sa respiration rapide. Elle était fière d'elle et espéra un instant que sa sœur adoptive ait vu son exploit. Elle bomba le torse, puis se mit à chercher le pelage écaille-de-tortue de sa sœur adoptive dans le paysage hivernal.

Les deux guerrières du Clan du Vent se séparèrent et partir chacune de leur côté ce qui arrangeait énormément la chatte écaille de tortue. Elle aurait aimé que leur relation s'améliore c'est sûr mais elle n'était pas encore prête. Elle effectua plusieurs marquages pour éviter que des intrus ne s'approchent des terrains de chasse du clan. L'énervement du début passé, la mélancolie s'imposa à Envol de Corbeau. Elle tachait de remplir ses taches pour ne pas avoir à y penser plus que ça cependant la sensation persistait, la désagréable sensation que cette guerre était inutile, que sa soeur lui manquait. Elle se souvenait de leurs entraînements communs, leurs combats acharnés en duo.
Elle se trouvait au dessus des terriers et grimpa sur la butte qu'ils formaient pour profiter du paysage enneigé qui s'offrait à elle. La fine pellicule de neige brillait sous un timide soleil et le paysage scintillait ainsi de milles feux. Elle vit au loin quelques chats, d'autres groupes de patrouilles, ils paraissaient si petits de là où elle était. Un brusque coup de vent ébouriffa le pelage de la guerrière montrant que la saison des neiges était bel et bien arrivé.
Un petit couinement lui fit regarder au pied des terriers. Une tache de sang contrastait avec le blanc de la neige, la cause de ce sang? Un gros lapin blanc que Ruisseau de Rose venait d'attraper. La guerrière tricolore bombait le torse, fière, comme si elle attendait que l'on approuve sa prise. Bien sûr qu'Envol de Corbeau était fière d'elle mais elle ne put dire aucun mot. C'est elle qui l'avait aidé à s'entrainement, elle avait joué un rôle de mentor car Perce Neige ne l’entraînait pas assez. Ces souvenirs assombrir le regard de la chatte Écaille de Tortue sans même qu'elle ne le veuille. Elle était fière oui, mais elle était incapable de le dire et préféra s'éloigner pour chasser de son côté.

Ruisseau de Rose aperçut la silhouette sombre de sa sœur adoptive au sommet d'une colline enneigée de la lande. Son regard croisa celui de la guerrière écaille-de-tortue; yeux bleu acier clair versus yeux aquamarine. Rapidement, Envol de Corbeau fit demi-tour. Elle dévala la colline, envoyant de la poudreuse blanche derrière elle à chaque foulée. La lieutenante tricolore ne la quitta pas des yeux jusqu'à ce que la chatte disparaisse derrière une autre colline enneigée. Ruisseau de Rose lâcha un faible grognement, sa fourrure légèrement hérissé le long de son échine. Qu'est-ce qui lui prend? feula la chatte tricolore intérieurement avant d'être subitement prise par la mélancolie. Envol de Corbeau... pensa Ruisseau de Rose avec tristesse. Elle se remémora leur enfance, la pouponnière et leurs jeux. La lieutenante tricolore gardait de très bons souvenirs du temps passés avec sa sœur adoptive quand elles étaient chatons, mais tout était devenu très compliqué entre elles depuis leur rencontre avec Danse de Ruisseau. Ce n'est pas de sa faute si le guerrier anthracite l'aimait elle et non pas sa sœur... Ruisseau de Rose se pencha, ramassa le lapin et s'apprêtait à rentrer au camp lorsqu'une effluve musquée de blaireau lui parvint aux narines. Elle serra aussitôt ses mâchoires autour de la nuque du lapin. Au même moment, un cri strident retentit au-dessus de sa tête et une ombre décrivit un cercle autour d'elle. Blaireau et faucon avaient été tous les deux attirés par sa proie. Ruisseau de Rose serra ses mâchoires encore plus fort autour du cou du lapin, tellement fort que le sang de la proie coula sur sa langue. La lieutenante tricolore était prise de panique. Elle ne savait pas quoi faire, mais elle devait agir rapidement avant de se retrouver seule contre deux prédateurs redoutables.

Envol de Corbeau descendit de la butte. Elle allait chasser pour se changer les idées, oui c'est ce qu'elle voulait, ne plus penser à cette journée qui commençait si mal. Elle renifla l'air à la recherche d'un délicieux fumet de lapins. Elle détecta une odeur et lorsqu'elle tourna la tête elle vit un imprudent sortir sa petite tête de son terrier. Il était mauvais de sortir par ces temps là. Elle s'empressa de lui courir après mais un petit trou caché par la fine couche de neige lui fit faire un vacarme qui fut fatal : malgré la vitesse fulgurante à laquelle elle bondissait, le petit lapin s'était aussitôt enfoncé au fond de son trou. Alors qu'elle fouillait rageusement le sol, une ombre se dessina sur la couche blanche éclatante. Un rapace? Que faisait-il ici? La jeune minette écaille de tortue releva la tête pour voir ce qu'il faisait.
L'oiseau décrivait de petits cercles au dessus de quelque chose qui était masqué par la butte. Elle s'approcha intriguée et vit sa soeur Ruisseau de Rose qui semblait extrêmement nerveuse, faisant face aux terriers abandonnés.

Qu'est ce qu'elle fait?

La lieutenante tricolore serrait avec force le lapin qu'elle avait capturé peu de temps auparavant. Envol de Corbeau ne voulait pas lui adresser la parole cependant elle n'était pas bête non plus, quelque chose n'était pas normal. En s'approchant un peu plus elle vit enfin le problème. Un blaireau semblant affamé se dressait face à elle tandis que le rapace lui tournait au dessus de la tête. Alors que le blaireau ne l'avait pas vu elle fondit sur lui pour l'attaquer, sans aucune hésitation.

Ruisseau de Rose était prise avec un énorme dilemme. Devait-elle fuir avec ou sans sa proie? Devait-elle faire face au blaireau en risquant de se faire attaquer par le faucon? Devait-elle s'occuper d'abord du faucon, puis du blaireau? Plusieurs alternatives s'offraient à la lieutenante tricolore, mais la peur maintenait ses pattes fixement au sol, et voilait son bon jugement. D'habitudes, Ruisseau de Rose agissait en suivant son instinct, mais dans ce genre de situation où la peur lui nouait le ventre, la lieutenante tricolore figeait de terreur. Ses mâchoires commençaient à être plutôt douloureuses lorsque ses yeux bleu clair aperçurent le museau blanc et noir du blaireau dans le terrier droit devant. Une odeur acre s'infusait dans la gueule de la chatte, un goût répugnant qui lui faisait plisser le museau. Le cri aigu du faucon retentit de nouveau au-dessus de sa tête, mais Ruisseau de Rose ne prit même pas la peine de regarder dans le ciel, voir si le rapace plongeait sur elle. Son regard restait fixe sur la bête rayé devant elle qui s'avançait dangereusement dans sa direction, un grondement dans la gorge et un filet de bave entre les crocs. La lieutenante tricolore tressaillit, son pelage se gonflant sous l'effet des frissons qui lui parcouraient l'échine, puis sans crier gare, un éclair de fourrure sombre frappa le blaireau de plein fouet. Ruisseau de Rose retrouva aussitôt son sang froid, elle courut vers le bosquet le plus proche pour y déposer sa proie, puis revint vers l'affrontement pour se jeter elle-aussi dans la bataille. Elle esquiva aisément un coup de patte en glissant au sol tel une vipère, puis asséna rapidement une pluie de coup de griffes sur le flanc du blaireau avant de s'éloigner pour se donner un nouvel élan.

Heureusement qu'Envol de Corbeau était intervenu car la lieutenante semblait encore choquée de ces apparitions et ne bougeait pas encore. La chatte sombre en profita pour lacérer le dos de son adversaire gris et noir et en profita pour d'un coup d’œil, regarder se que faisait sa sœur : elle était partie plus loin poser sous un buisson sa proie et reviens au pas de course pour charger son agresseur. La minette écaille de tortue sauta donc du dos du prédateur pour laisser Ruisseau de Rose le combattre un peu et pour surveiller que le sale piaf ne leur pique pas leur maigre butin de chasse. Elle le voyait tournoyer au dessus du bosquet, il savait, mais ne pouvait surement pas l'atteindre et quand bien même il essayerait il aurait affaire a elle. Cependant elle ne pouvait pas surveiller les deux et le blaireau lui semblait plus dangereux alors elle guettait les deux, comme prise d'une soudaine paralysie. Le sang affluait dans son cerveau, les idées allaient à une vitesse folle mais une question persistait : que faire? Attaquer le blaireau au risque de lâcher la proie de vue ou s'occuper du rapace en perdant Ruisseau de Rose de vue? Non elle ne pouvait abandonner sa sœur! Alors quand cette dernière s'écarta un peu de l'intrus, elle n'hésita pas à prendre le relais. Elle abattit sa patte et lui griffa le museau mais ce dernier riposta d'une morsure à l'épaule. La douleur fut vive mais il n'avait pas enfoncé si profondément que cela ses crocs. Elle mordit l'oreille de la bête rapidement pour que celle ci la libère et s'écarta, laissant la chatte tricolore prendre sa place.
Envol de Corbeau regarda la morsure, elle était douloureuse mais sans plus, le sang qui coulait giclait sur la neige sans que cela ne se voit dans son pelage si sombre. Elle lécha la blessure d'un geste vif pour tenter de calmer l'effet de chaleur venant de la douleur mais aussi pour reprendre contenance.

Alors que Ruisseau de Rose s’éloignait de son adversaire au pas de course, elle jetta un regard par-dessus son épaule et vit un éclair de fourrure noire et rousse se précipiter sur le blaireau pour lui griffer le museau de toutes ses forces. La lieutenante tricolore lâcha un petit cri aigu lorsque la bête noire rayée de blanc referma ses mâchoires puissantes autour de l’épaule de sa sœur adoptive. Ruisseau de Rose se précipita aussitôt de nouveau dans la bataille, son coeur cognant dans sa poitrine et le sang battant à ses tempes. Alors qu’elle arrivait près de du blaireau, celui relâcha son emprise sur Envol de Corbeau en rugissant de rage. La guerrière écaille-de-tortue se recula d’un bond, prenant le temps d’inspecter sa blessure avant de planifier son prochain mouvement. La lieutenante tricolore, quant à elle, évita aisément le coup de patte suivant, puis elle contourna rapidement le gros animal pour bondir sur son dos. Ruisseau de Rose tenta de lui griffer les yeux, le seul point faible des blaireaux, mais à la place, elle lui griffa maladroitement la joue et tomba à la renverse au sol. Elle en eut le souffle coupé, et la tête qui tournait, mais ce fut encore pire lorsque la bête noire rayée de blanc posa une patte contre sa gorge. La lieutenante tricolore se débattit frénétiquement, poussant avec ses pattes postérieures contre le poitrail de son adversaire de toutes ses forces, sans espoir. Le blaireau était trop lourd pour qu’elle parvienne à l’éjecter. Elle tenta ensuite de se libérer en lui griffant de nouveau le museau, mais le gros animal n’était pas dupe; sa proie avait beau se débattre comme un diable, elle n’en restait pas moins qu’un lapin pris au piège entre ses griffes.

Lorsqu'elle releva la tête de sa plaie, Envol de Corbeau vit que sa soeur était aux prises avec le redoutable blaireau. Quelle effroyable animal! La guerrière ne prit même pas la peine de regarder ce que faisait le rapace car après tout une proie en comparaison à la vie d'un membre du clan ne valait rien. Elle testa donc légèrement sa patte en l'appuyant au sol : douloureux mais à surmonter, il y avait encore à faire. Lorsqu'elle reprit donc le combat, Ruisseau de Rose se trouvait sous l'animal noir et blanc qui appuyait de son énorme patte sur la gorge de la chatte. Elle s'élança aussi vit qu'elle pouvait faisant abstraction de la douleur qui lui mordait l'épaule et quand elle fut assez près sauta sur le dos de la bête. Elle se réceptionna assez maladroitement mais, à l'aide de ses griffes,réussit à se redresser et enfonça ses crocs dans le cou de l'agresseur le plus profondément qu'elle le put. Grâce à une sorte d'ébrouement il lâcha la lieutenante qui eut le temps de filer mais déséquilibrée, Envol de Corbeau bascula.
Lorsqu'elle tomba sur la neige froide elle fut d'abord déçue d'avoir fait si peu, mais en se redressant, elle découvrit le prédateur ayant des difficultés à se mouvoir, elle l'avait mordu au bon endroit et suffisamment fort il semblerait!

Ruisseau de Rose avait de plus en plus peine à respirer. Elle commençait même à suffoquer. Ses pattes antérieures battaient mollement l’air autour de la tête du blaireau, manquant de très peu sa cible. Elle ne voyait presque plus rien. Elle avait l’impression que la lande se refermait peu à peu autour d’elle et de son adversaire. Elle n’entendait plus que les battements de son cœur, quand soudain, le poids sur sa gorge disparut complètement d’un coup. La première bouffée d’air qu’elle put prendre fut amèrement douloureuse. Tellement douloureuse que Ruisseau de Rose sentit une intense brûlure dans sa poitrine qui remonta rapidement jusqu’à sa gorge, puis sa gueule et sa truffe. Ses yeux s’humectèrent de larmes tandis qu’une toux creuse s’échappa de sa gueule. Elle se releva difficilement, tanguante sur ses pattes flageolantes et rampa du mieux qu’elle put vers le buisson le plus proche. Elle toussait, crachait et reprenait lentement la maîtrise de ses cinq sens lorsqu’elle entendit un râle de douleur fendre l’air. Ruisseau de Rose parvint à se redresser solidement sur ses pattes au moment où le prédateur gris, noir et blanc s’enfuit en claudiquant. Un éclair brun sombre et blanc attira aussitôt le regard de la lieutenante. Elle croyait trouver Envol de Corbeau près du buisson où elle avait caché le cadavre du lapin plus tôt, mais ce n’était pas la guerrière écaille de tortue qui se tenait là. Le faucon était descendu du ciel jusqu’au sol et fouillait présentement le buisson de son gros bec jaune à la recherche de la proie. Ruisseau de Rose tenta avec une telle fureur de se jeter vers le rapace qu’elle s’emmêla les pattes et trébucha durement sur le sol. Elle réouvrit les yeux juste à temps pour voir l’oiseau s’envoler avec le lapin entre les serres.

« Nooon! » feula la lieutenante à bout de souffle, suivit d’une profonde quinte de toux.

La grosse bête s'en alla en claudiquant, et parfois même ayant des sortes de spasmes. Envol de Corbeau avait su toucher le bon endroit, même si le tuer aurait sûrement était mieux pour lui éviter de longs moments d'agonie. Elle se voyait cependant mal retourner le voir pour en finir avec lui. Non elle allait juste se concentrer sur elle et sa sœur, c'était le mieux à faire. Avant même qu'elle puisse regarder l'état de sa blessure, un cri de frustration s'éleva derrière elle, suivit d'une violente quinte de toux ce qui fit sursauter la jolie guerrière écaille. Elle se retourna et vit Ruisseau de Rose regardant le ciel tout en s'étouffant à moitié, quand elle regarda dans la même direction que sa demi sœur, elle vit que le rapace avait réussi à leur piquer leur proie qu'elle protégeait depuis le début, il avait suffit d'un peu inattention pour qu'il attrape l'occasion d'avoir un festin sans effort. Si l'agacement semblait gagner la lieutenante, la guerrière, elle, était simplement soulagée de ne pas avoir fini éventrer dans la neige par cet énorme blaireau.
Soudain la douleur à son épaule devint plus vive, plus mordante. L'adrénaline partait peu à peu et le sensations lui revenaient au fur et à mesure. Elle préféra finalement ne pas jeter un coup d'oeil à la plaie, de peur que la simple vu puisse accentuer la brûlure qui se propageait dans son épaule et sa patte entière. Elle s'approcha de la chatte aux yeux bleu clair :

"Je suis désolée pour ton festin. Cependant, si cela ne te dérange pas, on devrait rentrer maintenant"

Elle ne tenait pas à parler de la blessure du blaireau car se plaindre n'était pas une chose qu'elle appréciait particulièrement faire, d'autant plus que les deux minettes n'étaient pas encore réconciliées malgré ce qu'elle venait de vivre.

Ruisseau de Rose était furieuse, certes, mais elle était tout aussi soulagée d’avoir pu faire face au blaireau sans trop de blessures. Elle avait encore un peu de mal à respirer, sa respiration sifflante, comme si elle avait inhalé trop de fumée. Cependant, tout semblait s’arranger tranquillement. Elle quitta la silhouette lointaine, tel un point minuscule noir dans le ciel, des yeux et entendit presque au même moment Envol de Corbeau s’approcher.

« Je suis désolée pour ton festin. Cependant, si cela ne te dérange pas, on devrait rentrer maintenant. » miaula-t-elle.

« Rentrer les pattes vides? Jamais!... » feula la lieutenante en faisant volte-face.

Ruisseau de Rose stoppa net tout mouvement et écarquilla grandement les yeux. Le sang sur le pelage de la guerrière écaille-de-tortue l’a saisit directe à la gorge. Sa soeur était blessée et elle ne pensait qu’au bien-être du Clan? La lieutenante se ravisa, ses muscles se détendant et son regard s’adoucissant.

« Pardon... Tu as raison. Rentrons. » murmura Ruisseau de Rose avec regrets. « Une visite à Feuille de Trèfle s’impose. »

La lieutenante se leva ensuite, ouvrant la voie vers le camp en gardant une courte distance avec sa sœur. Elle regardait souvent derrière pour savoir si la guerrière avait besoin d’aide, mais jamais elle ne lui en proposa car elle connaissait le sentiment de fierté de celle-ci. Ruisseau de Rose s’arrêta à plusieurs reprises, attendant qu’Envol de Corbeau la rejoigne avant de poursuivre sa route. Elle fut soulagée d’appercevoir enfin le camp.

La lieutenante tricolore semblait furieuse et intenable, elle s'agitait, ébouriffée, son repas venait de s'envoler. Envol de Corbeau était plutôt compréhensive, il était frustrant en cette saison de voir partir sa proie filait avec un pilleur. Cependant lorsqu'elle entendit la réponse de sa demi-sœur, son cœur se serra et une tristesse mêlait d'un agacement profond s'insinua en elle.

"Rentrer les pattes vides? Jamais!... "

Envol de Corbeau eut un mouvement de recul. Comment pouvait elle ne penser qu'à sa propre truffe? Non à la truffe du clan surtout mais... Mais la guerrière écaille était bien incapable actuellement de partir chasser. Elle n'avait plus de force et la douleur s'intensifiait à chaque minute. Soudain Ruisseau de Rose parut se rendre compte de l'absurdité de ses propos en voyant le sang se répandre sur la neige immaculée.

"Pardon... Tu as raison. Rentrons. Une visite à Feuille de Trèfle s’impose."

Toujours un peu vexée, la chatte au nom d'oiseau n'émit qu'un grognement d'approbation. Elle n'avait pas apprécié la réaction de sa compagne de chasse mais après tout elle n'avait peut-être pas vu au premier abord la gravité de la situation.
Le chemin du retour vers le camp fut long. Ruisseau de Rose attendait sa sœur souvent car le rythme de marche de cette dernière était d'une lenteur qu'elle même trouvait insupportable. Lorsqu'elle arriva enfin à destination elle était épuisée, essoufflée et surtout extrêmement agacée de cette blessure. Elle alla directement voir le guérisseur seule, elle n'avait pas envie qu'on lui pose pleins de question, et laissa donc Ruisseau de Rose faire son rapport au chef et au clan tout entier.