« Les chats craignent l’eau, c’est pourquoi ils préfèrent prendre des bains de soleil » — Écorce de Chêne

Le soleil baignait dans le ciel bleu azur tel un disque d’or posé sur des flots calmes et limpides, ses doux rayons pénétrant les feuilles vertes sombres accrochées à la cime des arbres et parsemant le sol de taches d’ombres et de lumières. Des oiseaux chantaient, invisibles aux yeux des habitants de la forêt, et un écureuil grignotait une noisette perché sur une branche haute dans un chêne. Soudain, des fougères frémirent et le bruissement des longues feuilles dentelées chassa le rongeur vers le sommet de l’arbre, sa longue queue touffue disparaissant entre les feuilles vertes sombres. Au même moment, au pied de l’arbre, un grand chat tigré et blanc se frayait un passage au travers des fougères odorantes, entonnant un chant mélodieux rappelant celui des oiseaux. Le félin argenté semblait bien heureux, contrairement à son habituelle mélancolie; il gambadait gaiement dans la forêt, son pelage et ses yeux brillants.

La nouvelle que le guerrier avait appris la nuit dernière était la source de sa bonne humeur; il était papa depuis seulement quelques lunes, de cinq chatons en pleine forme, et il l’ignorait encore avant-hier. La joie intense que le chat tigré et blanc avait ressenti lorsque sa compagne le lui avait annoncé ne l’avait pas quitté depuis. Chaque fois que le félin argenté y repensait, une douce chaleur s’infusait dans tous les membres de son corps et son coeur s’emballait dans sa poitrine de fier papa. Oui le guerrier était fier mais il était également un peu triste de ne pas pouvoir côtoyer ses petits tous les jours et les regarder grandir comme le devrait un papa. Mais le chat tigré et blanc avait choisi une compagne dans un autre clan et devait apprendre à vivre avec sa décision, même si cela pouvait être difficile; le félin argenté ne pouvait pas abandonner son clan, sa mère, son frère et sa sœur aussi facilement sans en subir les conséquences de ses actes.

Le guerrier chassa ces sombres pensées avec un hochement de tête; il ne voulait pas brimer sa bonne humeur — il voulait en profiter le plus longtemps possibles — et pour cela il eut une idée. Le chat tigré et blanc se dirigea instinctivement vers un endroit où il adorait passer du temps et noyer sa mélancolie dans la douceur et la chaleur des rayons du soleil. Le félin argenté se fraya un chemin entre les bouquets de fougères rassemblées dans l’ombre des arbres, puis il émergea dans une grande clairière où nichaient un amas de pierres plates longés par une rivière sinueuse séparant le territoire du Clan de la Rivière et celui du Clan du Tonnerre. Le guerrier hésita un bref instant, regardant aux alentours comme s’il avait une crainte de se faire prendre à paresser dans les parages. Puis ne voyant pas l’ombre d’un chat, le félin argenté bondit sur les chauds rochers et se roula sur le dos en ronronnant de plaisirs en ressentant la douce chaleur s’insinuer dans son long pelage tigré et blanc jusqu’à son dos. Quel bonheur! pensa le guerrier en fermant doucement les yeux et laissant tranquillement son esprit partir à la dérive.

Écorce de Chêne avait faim.

Le problème lorsqu'on possédait une aussi grande carrure était qu'il fallait la nourrir en conséquences. Il lui arrivait parfois d'avoir du mal à se contenter d'un seul des petits poissons que lui et ses camarades de Clan trouvaient dans la rivière environnante. Il n'osait cependant que rarement en prendre plus. Et quand il le faisait, il s'assurait toujours qu'il y en avait assez pour le reste du Clan.

Il passait également une bonne partie de son temps libre à chasser au lieu de se détendre au soleil comme pouvait le faire sa sœur. C'était bien simple, il mangeait plus que la moyenne, et donc il se devait de chasser plus que la moyenne.

Si Écorce de Chêne était honnête avec lui-même, il savait que la peur plus qu'autre chose était sa plus grande motivation derrière ses parties de chasse quotidiennes. La peur d'être un fardeau pour son Clan, et surtout la peur qu'un autre chat le remarque. C'était comme si une partie de lui attendait constamment que quelqu'un voit enfin ce qu'il avait lui-même constater.

Il mit ses inquiétudes de côté et s'approcha du tas de gibier. Presque vide. Il soupira et se tourna vers la tanière des anciens. Ceux-ci n'avaient pas encore mangé, et les poissons qu'il restait seraient à peine assez pour eux. Il devrait aller chasser pour le reste du Clan avant d'espérer manger.

Il se dirigea vers la sortie du camp, le soleil lui réchauffant le dos.

Il décida d'aller à la rivière qui bordait les Rochers du Soleil. Il se mit en route, ses muscles se tendant à chaque foulée, l'herbe se pliant sous ses pattes. Plus il se rapprocha, plus l'odeur du Clan du Tonnerre se fit forte. Bien que les deux Clans ne soient plus en guerre, les Rochers du Soleil restaient un endroit sensible, à la limite entre les deux territoires. Mais ceux-ci restait un terrain de chasse idéal pour le Clan de la Rivière. Ils étaient en effet près du camp, et proposaient un accès à la rivière que seul son Clan était capable d'utiliser. Il ne doutait pas que le Clan du Tonnerre essayerait de le récupérer, mais Écorce de Chêne serait prêt à défendre le territoire du Clan de la Rivière.

Il fut tellement perdu dans ses pensées qu'il ne remarqua pas tout de suite la touffe de poils argentée dépassant des rochers. Ce ne fut qu'une fois arrivé devant la rivière, le dos du chat immanquable sur l'autre rive, qu'il le prit en considération. Écorce de Chêne ne reconnut d'abord pas l'autre chat. Il y avait plusieurs membres du Clan de la Rivière qui avait cette coloration grise pale. Il décida de s'approcher pour saluer l'autre.

Il plongea dans la Rivière, la fraîcheur du courant contrastant avec les rayons du soleil et le faisant serrer la mâchoire. Il nagea tranquillement jusqu'à l'autre rive, et ce ne fut qu'une fois sortit de l'eau, le pelage encore dégoulinant, qu'il réalisa que l'odeur du Clan du Tonnerre était si forte parce qu'elle venait de l'autre félin. Ce n'était pas un de ses camarades devant lui, mais un intrus.

Avant même qu'il ne le décide consciemment, le poil d'Écorce de Chêne se hérissa et il se mit en position de combat.

"Qu'est-ce que tu fais sur notre territoire ?" feula-t-il.

Il espérait seulement que ce n'était pas une invasion. Il n'arriverait pas à retenir une attaque du Clan du Tonnerre tout seul.

Le guerrier argenté était couché sur le dos, son ventre blanc exposé sous les rayons chaleureux du soleil, et les paupières délicatement fermées. Seul le bout de sa queue rayée de gris s’agitait lentement au rythme de la douce brise qui lui amenait l’odeur fraîche de la rivière et de la verdure grandissante. Sa respiration était lente et profonde, indiquant que le grand chat était sur le point de s’endormir quand un feulement de colère le prenait par surprise.

« Qu’est-ce que tu fais sur notre territoire? »

Le guerrier argenté remuait une oreille, soulevant doucement une paupière puis l’autre. Devant lui se tenait un chat brun rayé et blanc, debout sur ses quatre pattes, le dos arqué, la fourrure hérissée, les yeux plissés, les babines retroussées et les crocs à découverts. Le guerrier argenté se redressait lentement, se retournant sur le ventre et se levant sur ses propres quatre pattes, les yeux légèrement écarquillés de surprise. Le chat qui se tenait devant lui ne faisait pas partie du Clan du Tonnerre. Son pelage luisant et brillant trahissait son appartenance au Clan de la Rivière. Le guerrier argenté se demandait ce que faisait un chat du Clan de la Rivière aux Rochers du Soleil, et pourquoi il disait que ce morceau de territoire leur appartenait. Alors le guerrier argenté miaulait sur un ton neutre avec interrogations:

« Votre territoire? Les Rochers du Soleil appartiennent au Clan du Tonnerre depuis de nombreuses lunes. »

Le matou argenté ouvrit lentement les yeux, nonchalant. Il prit son temps pour se retourner, comme si de rien n'était. Quand il fût debout devant Écorce de Chêne, le guerrier du Clan du Tonnerre le fixa simplement de ses grands yeux ronds, pas le moins du monde agressif. Écorce de Chêne en vint même à se sentir gêné, comme si sa réaction avait été démesurée. Il avait quand même trouver un guerrier ennemi sur leur territoire, bien sûr que sa réaction était naturelle ! Il se calma quand même quelque peu, ses poils retombèrent sur son dos et ses griffes se rentrèrent. Il garda cependant sa posture d'attaque. Peut-être était-ce un piège.

"Votre territoire? Les Rochers du Soleil appartiennent au Clan du Tonnerre depuis de nombreuses lunes," dit-il d'un ton calme.

Écorce de Chêne en oublia sa colère. Le guerrier argenté n'était-il pas au courant de la bataille qui avait eu lieu ? Il semblait réellement confus. Comme si Écorce de Chêne était celui qui venait de pénétrer sur son territoire.

Il fixa l'autre matou, ne sachant que répondre. Son interrogation avait l'air sincère. Comment pourrait-il ne pas être au courant ? Écorce de Chêne se redressa.

"Nous vous les avons repris... Ils appartiennent au Clan de la Rivière dorénavant, tenta-t-il d'expliquer. Et ce depuis la bataille... Non ?"

Écorce de Chêne en vint à douter lui-même. Peut-être avait-il loupé quelque chose...

Le chat argenté fixait le chat brun de ses grands yeux corails. Il attendait patiemment que le guerrier du Clan de la Rivière s’excuse de l’avoir dérangé pendant sa sieste et rebrousse chemin en direction de son propre territoire. Mais le chat brun ne semblait pas prêt à abandonner la discussion aussi rapidement. Il fixait également le guerrier du Clan du Tonnerre dans une joute silencieuse dont le premier à prononcer un mot serait le perdant. Du moins c’était ce qui semblait être jusqu’à ce que le chat brun parle le premier.

« Nous vous les avons repris... Ils appartiennent au Clan de la Rivière dorénavant, et ce depuis la bataille... Non? »

Sur ces mots, le chat argenté se rendit finalement compte que le chat brun avait raison depuis le début et que c’était lui qui était en tort. Ses oreilles se mirent à bouillir de honte mais en tant que fier guerrier du Clan du Tonnerre il ne pouvait pas faillir à la réputation de son clan et avouer aussi facilement son erreur. Alors le chat argenté s’étira longuement sur les chauds Rochers du Soleil puis il miaula avec nonchalance.

« Peu importe à qui ils appartiennent. Je n’ai plus envie de faire la sieste ici. La rivière et ses habitants sont beaucoup trop bruyants. »