À la chasse, on attrape pas toujours ce qu’on attend - Pv Cri du Choucas

Pelage Ombragé se réveilla ce matin-là en même temps que le soleil se levait à l’horizon. Il s’étira longuement, baillât et se glissa hors de son nid tel une ombre. Le guerrier gris pommelé sortît ensuite de la tanière faites de roseaux entremêlés, fît brièvement sa toilette, et se dirigea vers le pied du grand saule, à l’endroit où le lieutenant désignait les patrouilles à chaque matin. Cependant, ce matin-là, Pelage Ombragé était debout, arrivé et prêt avant lui. Le guerrier gris pommelé s’assit alors au pied du grand saule, ses yeux bleu-violacé braqués sur la tanière de roseaux entremêlés en attentes de l’apparition du lieutenant. Cri du Choucas était lieutenant du Clan de l’Ombre depuis très peu de temps, mais il était déjà un habitué de l’aurore comme Pelage Ombragé. Alors pourquoi n’était-il pas encore au pied du grand saule comme à son habitude? Le guerrier gris pommelé commençait à s’impatienter quand soudain un bruissement venus de la tanière de roseaux entremêlés se fît entendre et un chat blanc tigré de noir aux larges épaules en émergea enfin.

Plongé dans un sommeil profond, Cri du Choucas s'était endormi la veille au soir avec l'agréable sensation du devoir accompli. Il ne s'était jamais sentit aussi vivant que depuis qu'il était devenu le Lieutenant du Clan de l'Ombre. Il n'avait jamais caché à quiconque son ambition de le devenir ou même de convoiter le rang de Chef, mais de là à ce qu'il soit exhaussé. Combien de félins attendait ce jour toute une vie sans qu'il n'advienne ? Combien de Guerriers nourrissaient des espoirs similaires durant de longues lunes, des saisons et des années entières sans pour autant se voir accéder à cette opportunité ? Lui avait eu la chance d'être nommé en tant que tel. Et s'il n'était pas un des fervents défenseur de la politique menée par Étoile Sombre, il allouait toujours autant de dévotion et de loyauté envers son Clan. Passant avant toute chose, le Clan de l'Ombre était l'une de ses raisons de vivre, l'un de ses piliers sans lequel son monde s'effondrerait probablement. Sa vie n'avait de sens que parce que cette flamme d'appartenance l'habitait, lui donnant la force de se lever aux aurores chaque matin et lui fournissant l'énergie pour toujours donner son maximum aux siens. Depuis sa nomination, il avait pris à cœur de toujours avoir une organisation cintrée, calculée à l'avance, sachant déjà la veille les plans qu'ils prévoyaient à chacun pour le lendemain. Et la veille, il n'avait pas failli à sa nouvelle coutumière habitude, harmonisant les derniers détails sur l'agencement des patrouilles dans son esprit avant de fermer l’œil. Roulé en boule dans sa litière, au beau milieu des Guerriers qu'il dirigeait à présent, le matou tigré quitta les doux bras de Morphée au moment où l'aube s'annonça. Et la veille, il n'avait pas failli à sa nouvelle coutumière habitude, harmonisant les derniers détails sur l'agencement des patrouilles dans son esprit avant de fermer l’œil. Faisant le tour des couchettes, il n'eut aucune peine à déduire l'identité du lève-tôt. Affichant un discret sourire sur le bout de ses babines, le matou prit quelques secondes encore pour passer de rapides et efficaces coup de langue sur son pelage, le débarrassant de poussière et broutilles venues s'y loger pendant son sommeil.

Rendu présentable par sa brève toilette, Cri du Choucas se leva, s'étira, jeta un regard sur une couchette en particulier, et sur son occupante, et sortit sans cérémonie de l'antre. Accueilli par les rayons du soleil qui se déversait sur le Camp, il s'offrit le luxe d'aller saluer les quelques félins réveillés les uns après les autres. Finissant son petit tour par Pelage Ombragé, il le rejoignit au pied du grand saule sous lequel il affectait les patrouilles, lui accordant une salutation plus complice qu'à n'importe quel autre des précédents Guerriers. Patientant quelques minutes en silence le temps que tous se rassemblent devant lui, l'endroit fut bientôt inondé de félins plus ou moins éveillés. Les laissant se saluer et prendre des nouvelles à loisir, le Lieutenant demanda finalement le silence d'un geste sec de la queue, fusillant du regard les dernières langues pendues. Répétant le même cérémonial chaque matin, il commença par un petit mot d'encouragement, promettant un avenir vertueux pour le Clan, un remède futur contre le Mal Rouge qui continuait de sévir, tout en restant le plus réaliste possible sur le scénario. Puis vint le temps d’investir les uns et les autres à chacune des tâches qui devaient être effectuées. Assignant à chacun une tâche à la hauteur de ses capacités et des besoins du Clan, Cri du Choucas invita chacun à respecter les groupes, donnant la direction de chacun de ces derniers au Guerrier le plus expérimenté ou le plus méritant. Il finalisa enfin l'organisation de la journée en prenant pour mission de mener une patrouille de chasse. Trois Guerriers l'accompagneraient, les trois qu'il n'avait pas encore nommés. Pelage Ombragé, son ancien Apprenti, Cœur de Blaireau, un vétéran qui le dépassait en nombre de lunes vécus et Patte de Mulot, un tout jeune ayant déjà fait prouvé sa valeur.

« Pelage Ombragé, Cœur de Blaireau et Patte de Mulot, vous viendrez avec moi chasser, on ira du côté de la Roncière. »

Fermant cette petite assemblée quotidienne sur ces mots, il laissa les troupes se disperser selon ses directives. Passant en revue les différents groupes, il se détacha finalement pour attendre ceux dont il avait requis la présence. Il n'eut pas à patienter longtemps avant que les trois ne le trouvent. Ne perdant pas de temps et de salive en allégations inutiles, il annonça le départ d'un signe clair et prit la tête de la petite expédition. Imposant un rythme soutenu à ses Guerriers, il les mena jusqu'à destination : la Roncière. Ne ralentissant que lorsque l'amas d'épineux fut en ligne de mire, le gris tigré marqua une halte, donnant les dernières consignes :

« Nous allons nous séparer en deux groupes. Cœur de Blaireau, Patte de Mulot, allez vers l'est. Pelage Ombragé, tu viens avec moi, on va aller de l'autre côté. On se retrouve ici quand on aura tous attrapé quelque chose. »

Pelage Ombragé observa le lieutenant faire sa ronde habituelle au sein du campement. Le chat tigré salua les quelques félins déjà sortis avant de rejoindre le guerrier gris pommelé au pied du grand saule et le saluer à son tour. Pelage Ombragé lui rendit son salut avec un simple hochement de tête, puis le lieutenant bondit sur une racine, invitant ainsi les autres chats à se rassembler et se taire. Cri du Choucas était lieutenant depuis peu, quelques jours à peine, mais il s’était dėjà fait une importante réputation au sein du clan. Il était matinale, dévoué à la tâche et ordonné. Ses patrouilles de chasse ne revenaient jamais bredouilles, et celles frontalières défendaient intelligemment leur territoire sans causer de combats inutiles. Pelage Ombragé admirait beaucoup ce chat.

« Pelage Ombragé, Cœur de Blaireau et Patte de Mulot, vous viendrez avec moi chasser, on ira du côté de la Roncière. »

En entendant son nom, Pelage Ombragé se leva d’un bond, prêt à partir. Mais les regards lancés par ses camarades le fit se rassoir aussitôt, la tête basse. C’était Cri du Choucas le lieutenant, pas lui. C’était donc logiquement au chat tigré à donner le signal de départ, pas à lui. Pelage Ombragé tenta honteusement à croiser le regard de son ancien mentor, cherchant sérieusement à s’excuser, mais Cri du Choucas l’ignora complètement et donna finalement le signal de départ.

Prendre des initiatives. Suivre les plans établis. Bien sûr qu'il en était capable. Il le faisait même de bonne grâce lorsqu'il en était l'instigateur. Depuis qu'il avait gagné en notoriété. Depuis qu'il avait été nommé pour seconder Étoile Sombre, il ne recevait plus d'ordres. Ou bien moins qu'auparavant. Dorénavant, il était le donneur d'ordre. Maintenant, il était celui qui choisissait pour les autres. Il était celui qui planifiait leurs journées, leur quotidien. Et ce dérisoire petit grain de pouvoir, cet avant-goût de puissance, le ravissait. Il se tirait sans mal du sommeil lorsque cette belle perspective venait troubler le calme apaisant de ses rêves. Il avait ce privilège et ne se privait pas pour en jouer. Longtemps, il avait été le suiveur, celui qui devait se plier aux directives, plus ou moins facilement. Plus jeune, il lui était souvent arrivé de tenir tête à ce qu'on pouvait bien lui demander de faire ou même ce qu'on tentait d'exiger de sa personne. Il lui semblait avoir gagné en force de caractère, et probablement en arrogance, lorsqu'on lui avait arraché sa mère. Certains auraient trouvé un autre exutoire à cet événement, une autre réponse à donner à leur existence. Mais pas lui. Il n'était pas de ceux qui se seraient laissé aller à la dérive, se coulant eux-mêmes sous le joug de tous les autres. Non. Il n'était pas de ceux-là. Depuis tout petit, il avait été ce vecteur intense de la fratrie, cet électron qui gravitait plus librement que les autres. Les lunes qui s'étaient écoulées, la succession d'épreuves que la vie lui avait imposées, n'avait fait que donner plus de vigueur encore à cette forte personnalité qu'il avait développée. Le sourire cloué aux babines alors que sa gueule se refermait sous les ordres donnés, il adressa un regard sérieux aux deux premiers cité, tentant de capter ne serait-ce qu'un signe de rébellion. Il n'en fut rien. Les deux Guerriers le fixèrent, entendirent les consignes, s'échangèrent un regard et hochèrent finalement la tête en direction de leur Lieutenant avant de partir dans la direction indiquée.

Cri du Choucas n'était probablement pas le Lieutenant que tous attendaient. Trop jeune pour beaucoup, n'ayant pas assez d'expérience, étant trop désinvolte pour d'autres, il n'était pas l'archétype même du gentil et sérieux petit Guerrier. Si sa prétention, son arrogance et son ambition ne faisait pas toujours de lui le camarade le plus appréciable, il n'en restait pas moins un félin droit, loyal envers son Clan et allouant une forme de respect solennel au Code du Guerrier et à tout ce qui pouvait se rapporter de près ou de loin à l'honneur. Chérissant son image comme beaucoup de narcissiques le feraient, il n'était pourtant pas imbu de sa personne et n'hésitait pas à tendre la patte à ceux qui en valaient vraiment la peine et qui s'en montraient méritants, à ses yeux. Laissant son regard couler encore quelques secondes sur les deux Guerriers qui s'éloignaient en trombe, le tigré reporta bientôt son attention sur celui qu'il avait choisi pour faire équipe avec lui. Pelage Ombragé. Ce Guerrier de taille standard aux teintes de pelage presque semblables aux siennes, avait été son Apprenti. Il y a de cela quelques lunes, Cri du Choucas avait tenté l'expérience du mentorat, prenant à cœur l'importante responsabilité ainsi confié. S'il n'avait jamais été vraiment de ces mentors tendres ou parfaitement attentionnés, il avait toujours gardé un œil protecteur sur le plus jeune. Fier de ce qu'il avait réussi à en faire, ils avaient continué d'entretenir une relation plus ou moins proche lorsque ce dernier avait gagné son titre de Guerrier. Il lui avait transmis toutes les qualités techniques pour qu'il devienne un bon Guerrier et un bon camarade pour le Clan de l'Ombre, du moins, c'est l'objectif qu'il avait tenté d'atteindre durant toutes ces lunes d'apprentissage. Et si, à ses yeux, Pelage Ombragé, avait gardé une trop grande fragilité émotionnelle, il ne pouvait qu'être fier du chemin parcouru. Lui adressant un sourire discret, le fixant d'un regard vivant, le Lieutenant relâcha légèrement la pression contenue dans ses muscles, s'accordant le droit de souffler un peu avant de repartir. Lorsqu'il ouvrit de nouveau la gueule après quelques secondes de silence, sa voix paraissait moins dure, un peu plus amicale peut-être :

« Alors Pelage Ombragé, content qu'on refasse équipe ? »