« Ne regarde pas en arrière, les yeux pleins de regrets ; regarde plutôt en avant, les yeux pleins d'espoir. » || PV. Family. ♥

« Ne regarde pas en arrière, les yeux pleins de regrets ; regarde plutôt en avant, les yeux pleins d'espoir. »

Un pas. Un de plus. Discret. Silencieux. Griffe Rousse se laissa tenter par une nouvelle dérisoire foulée. Maître de soi, son ambre ne fit pas le moindre doute sur sa capacité d'analyse et de contrôle à cet instant T. Une expression totalement indifférente sur le visage, ses yeux brillaient pourtant d'une concentration extrême. Il ne fallait pas tout gâcher maintenant. Pas si près du but. Immobile, ses confrères n'avaient pas l'habitude de pratiquer la traque ainsi. Et pourtant, il s'éviterait probablement la peine de perdre une énergie que trop précieuse en cette mauvaise saison. Les crocs serrés, la respiration coupée, le rouquin fit une dernière fois le point sur la situation. Une seconde. Deux. Trois. Répondant à un signal inaudible, le félin lança son assaut. Décollant littéralement du sol, son envol pittoresque lui procura néanmoins l'agilité et l'aisance de retomber là où il le voulait, surprenant sa proie. Atterrissage sans l'ombre d'une discrétion sur le dos de la miséreuse cible sur laquelle le dévolu d'un matou affamé avait été jeté, il ne se laissa pas l'ombre d'une hésitation. Tueur né, voleur de vie, il arracha la sienne au lièvre maigrichon. La victime encore harponnée à ses canines, il remercia avec une sincérité sans équivoque le Clan des Étoiles. Une vie de volée pour assurer la prospérité de son Clan. Quel être censé pouvait cracher sur ces remerciements-là ? Quel être empathique pouvait prendre un souffle sans en remercier son essence ? Inexpressif comme chaque fois qu'il se retrouvait en tête-à-tête avec lui-même, le Guerrier soupesa l'heure en déroulant son regard bleuté vers le ciel. La journée était déjà bien avancée. Trop avancée pour la seule prise qu'il avait réussi à faire en cette fin d'après-midi. Un soupir silencieux s'échappa de sa caboche. Pouvait-il pour autant se résoudre à se lamenter d'avoir déjà eu l'aubaine de trouver ce lièvre ? Plus maigre que la proie qu'il venait de cueillir, Griffe Rousse rebroussa chemin. Avec pour seule compagnie cette dépouille sans vie, il prit la direction du Camp avec une hâte particulière.

Une idée lui trottait derrière la tête. Une envie de servir son Clan et sa famille. Les deux étaient indissociables l'un de l'autre. Et si lui aussi aurait bien eu besoin de se goinfrer de cette proie pour reprendre un peu d'aplomb, il n'y toucherait pas. Trop rangé. Trop réglementaire. Trop croyant également. Le Code du Guerrier était la doctrine qu'il avait décidé de suivre. C'était ainsi qu'il avait été formaté depuis tout petit. En bon petit soldat de plomb, il s'y confortait en ne sortant pas de ce rang. À force de considérables foulées, le Camp se dessina bientôt sous ses mirettes. Ralentissant l'allure au moment d'entrer véritablement dans ce dernier, il prit la peine de remettre ce masque qui le faisait paraître ô combien empathique envers ses camarades. Offrant gracieusement des sourires et des salutations franches à tous les camarades qu'il croisa, il ne manqua pas non plus de se dédouaner des compliments qu'on lui fit sur sa prise. Les Anciens et les Chatons d'abord. Voilà ce que prônait ce code auquel tous ces félins claniques tenaient comme à la prunelle de leurs yeux. Sans vaciller, sans s'arrêter, Griffe Rousse s'affranchit de l'étendue qui le séparait encore de la Pouponnière. Marquant une imperceptible pause, il gonfla un peu son pelage avant de faire son entrée. Améliorant le visuel qu'il renvoyait, son poil devenu épais à cause de la mauvaise saison fit presque disparaître les os qui saillaient sous sa peau. Le sourire aux bouts des lèvres, le Guerrier déposa son précieux butin sous le museau de la petite famille qu'il était venu voir. Il salua la Reine des lieux en pressant doucement son museau sur sa joue avant de tourner vers les avortons qui gigotaient contre son ventre. Il avait déjà bien grandi depuis le premier jour où il les avait visité. Ils resteraient encore jusqu'à la venue du printemps ici et il valait peut-être mieux pour eux.

Spoiler:

Depuis combien de temps, déjà, avaient-ils pointé le bout de leur joli petit museau ? Les jours s'écoulaient bien trop rapidement lorsqu'on ne les comptait pas. Griffe Rousse essayait de se montrer aussi présent que nécessaire pour Étoile de Rose et sa progéniture. Et s'ils n'étaient pas réellement ses neveux et ses nièces de sang, il vouait une affection semblable à ceux-ci qui se tortillaient aux mamelles de la Reine. La même dévotion, le même sentiment d'attachement étrange et inexplicable qu'il offrirait bien volontiers à ceux qui partagerait un peu de son sang. C'est au moins, le comportement qu'il s'était promis d'adopter. Depuis que sa maternelle avait disparu, il avait décidé de faire machine arrière. Comme si tout était si simple... Comme s'il suffisait de le dire ou de le penser pour rattraper le temps perdu... Tentant de reprendre ce qu'il n'avait jamais eu jusque-là, le rouquin pensait peut-être bêtement pouvoir réquisitionner un trésor passé et perdu à jamais. Il aurait beau l’effleurer, tenter de nager, de plonger de toutes ses forces, se débattre, s'ébrouer, remplir ses poumons d'eau, en avoir des crampes aux pattes tant il essayerait... Rien. Rien ne lui permettrait de revenir en arrière. Rien ne lui donnerait la possibilité de reprendre au temps des temps précieux qu'il n'avait su savourer. Et le pire dans toute cette histoire ? C'est que s'il l'avait vraiment voulu, il aurait très certainement eut la force d'aller à l'encontre de sa matriarche. Platement, par facilité ou peut-être simplement pour être bien vu, il avait glissé lestement, se pliant, comme le bon matou qu'on voulait qu'il soit, aux règles imposées. Elle l'avait toujours tenu à l'écart de Petite Rose. Pourquoi ? Il ne lui avait jamais posé la question, du moins, il ne lui semblait pas l'avoir fait. Il n'aurait possiblement jamais d'explication à cette affaire. Ni hier. Ni aujourd'hui. Ni demain. Un jour, le Clan des Étoiles l’appellera, peut-être songera-t-il à la lui réclamer.

Qu'importent les raisons, qu'importe le sentiment qui avait pu pousser Plume de Sauge à interdire une telle relation, il avait plié sans trop broncher à la requête. Il n'avait jamais trop cherché véritablement à passer outre cette désopilante prohibition. Si quelqu'un était là pour juger les actions de l'âme, il serait probablement condamné à son égal, si ce n'était davantage. Complice et acteur d'une enfance en paria. Il plaiderait coupable sans craindre la sentence. Si la relation entre les deux félins s'était très nettement améliorée, elle n'avait rien de comparable avec celle qu'il avait noué avec son frère. Pouvait-il vraiment tenter la comparaison de deux-êtres ? Pire, pouvait-il réellement se permettre de faire bouger une balance entre deux relations aussi dissemblables ? Comment pouvait-il se permettre de créer encore une altérité, un nouvel écart, entre des relations qui n'avaient fondamentalement qu'un dérisoire tronc commun ? Museaux Nuageux était aussi dissemblable d'Étoile de Rose que le soleil pouvait l'être de la lune. Deux êtres nés de même sang trouvaient déjà que peu de points communs, alors songer à faire des rapprochements et des analogies douteuses sur ces deux protagonistes était une profonde ineptie. Et rien ne servait de tergiverser des lunes sur le sujet. Inutile de minauder sur un quelque chose qui n'était et ne pourrait jamais trouver de parallèle que ce qu'il voudrait bien partager de son être et de sa personne. Chassant ces idées saugrenues venues semées le doute dans sa pensée, Griffe Rousse laissa un sourire béat éclairer son visage et venir faire vibrer ses moustaches insensiblement. Le cœur en proie à se réchauffer, il s'installa à une longueur de queue de la reine, assis tel une statue de marbre, les pattes soigneusement alignées, le dos droit et la queue délicatement repliée autour de ses deux antérieurs. Observant avec une attention presque entêtante les cinq boules de poils dont la palette de nuances était joliment étoffé, il ne put qu'être en admiration devant ce qui était le tableau vivant du cycle de la vie.

C'était quelque chose d'assez étrange, d'être tante. Cela n'avait pas changé la vie d'Envol du Corbeau, tout du moins pas trop, mais elle découvrait un peu plus le monde des chatons sur lequel elle ne s'était jamais réellement penchée auparavant. Elle, elle était une guerrière, qui pensait principalement à nourrir et protéger le clan et bien qu'elle ait côtoyé quelques jeunots, elle n'avait jamais connu beaucoup de nouveau né et s'en était encore moins directement pré-occupée. Depuis qu'Étoile de Rose avait eu ses chatons d'un mâle inconnu, Envol de Corbeau allait rendre visite à sa demi-sœur et ses petits quotidiennement. Elle tenait compagnie à la chatte tricolore qui avait besoin de compagnie puisqu'en effet elle élevait les petits seule, devait encore régir le clan, en bref sans l'aide de la fratrie la meneuse aurait sans doute était noyée sous les responsabilités.
Bien qu'ils n'arrivèrent pas au meilleur moment, les 5 bébés étaient merveilleux et aimés. Il y avait deux femelles : Petit Éclat et Petite Plume, toutes deux principalement argentées; et trois mâles : Petit Merle, Petit Loir et Petit Safran, le premier était noir et blanc, le second roux tigré et le troisième anthracite. Cette jolie petite famille s'était installée dans la pouponnière ce qui laissait pour l'instant la tanière du chef vide.

Comme tous les jours, Envol de Corbeau se dirigea en fin de journée vers le buisson qui faisait guise d'abri aux reines et leur portées. Lorsqu'elle pénétra dedans, l'odeur chaud du lait et des petits arrivèrent à ses narines et contrastaient avec la fraîcheur et la neige à l'extérieur. Il faisait moite à l'intérieur, sans doute à cause du nombre important d'individu dans un si petit espace puisqu'en plus des chattes et leurs petits se trouvait Griffe Rousse qui était venu voir Étoile de Rose.

"Bonjour vous deux" Miaula t-elle en s'approchant du mâle roux et de la femelle tricolore.

Puis elle baissa la tête en direction de ses neveux et nièces qui étaient encore très petits et miaula plus doucement :

"Bonjour à vous aussi petites boules de poils"

Elle se redressa à nouveau et miaula à l'intention de son frère et de sa sœur :

"Comment ça va aujourd'hui vous deux?"

Elle restait assez impassible de figure, même si transparaissait dans sa voix le bonheur d'être avec sa famille, ne manquait que Museau Nuageux...

Étoile de Rose était couché sur le flanc, son ventre exposé de manière peu confortable pour une guerrière, mais elle s'en fichait pas mal car dès qu'elle posait les yeux sur ses cinq magnifiques boules de poils contre son giron, tout ses tracas fondaient comme neige au soleil. Étoile de Rose était heureuse, très heureuse même. Elle n'aurait pas pu rêver mieux. Certes les chatons étaient nés dans une période sombre pour le Clan du Vent, mais Étoile de Rose refusait de se laisser abattre et voyait en ces petits êtres une nouvelle lueur d'espoir; une promesse du Clan des Étoiles que les lunes à venir redeviendraient calmes et paisibles. Étoile de Rose lécha en ronronnant le minuscule crâne de Petit Loir, le chaton roux tigré, puis elle déposa son menton sur l'une de ses pattes avant, ses yeux bleus acier toujours posé sur ses précieux petits. Jamais elle ne s'en lasserait de les regarder, les observer et les contempler. Elle pourrait passer des heures auprès d'eux, en silence, à admirer leurs charmants pelages. Surtout celui de Petit Éclat dont la teinte grise argentée tigrée lui rappelait son compagnon secret. Oh mon amour... soupira Étoile de Rose. Si seulement tu pouvais les voir... Ils sont si parfaits!

Il n'était pas là depuis plus que trente secondes que déjà, des bruits de pas s'élevèrent dans son dos, annonçant la venue d'un autre individu en ces lieux. Qui cela pouvait-il bien être ? Le flot de curieux le jour de leur naissance avait été infernal aux yeux du rouquin. Étoile de Rose avait mis bas sans trop de complications, mais cela lui avait écouté énormément d'énergie et le Guerrier n'avait pu que percevoir d'un très mauvais œil ces allers et venus de visiteurs curieux. Le Clan avait accueilli ainsi les nouvelles boules de poils comme il le ferait avec n'importe quelles nouvelles vies. Pourtant, cela lui avait laissé un arrière-goût étrange en gueule. Un peu comme ci le lien de familiarité avait indéniablement joué sur ses nerfs et sa façon de voir les choses. Il était probablement un poil plus sensible par ce qui touchait sa famille qu'il ne voulait clairement se l'admettre. Et s'il n'avait jamais renvoyé aucun félin de la Pouponnière, il avait toujours gardé un œil protecteur sur la nouvelle Reine et ses petits. Humant l'air avant même qu'une présence s'annonce véritablement à ses côtés, le rouquin se détendit en reconnaissant l'effluve d'Envol de Corbeau. Décrochant son regard inquisiteur de sur ses neveux et nièces, il l'observa faire son entrée dans l'antre, l'accueillant avec un sourire honnête et un signe de tête en guise de réponse à sa salutation orale. Il la vit porter son attention à Étoile de Rose, puis passer aux petits. En l'observant leur adresser la parole comme elle le faisait, s'aplatir pour se mettre à leur hauteur et prendre une voix plus douce pour eux, il ne put s'empêcher un ronron amusé. Elle ferait probablement une bonne mère, elle aussi. Malgré l'amour étrange que leur portait leur mère, cela ne semblait pas avoir entaché l'instinct maternel aux deux femelles de la fratrie. Griffe Rousse, lui, n'avait jamais manqué d'attention de la part de Plume de Sauge, mais il ne pourrait en dire de même pour Étoile de Rose qui ne partageait pas véritablement son sang.

Balayant d'un revers de patte mental des souvenirs qui n'étaient pas toujours heureux, le Guerrier ne voulait pas se laisser envahir maintenant. Inutile de remuer le couteau dans la plaie, plaida finalement une voix dans son crâne. Elle avait probablement assez souffert de cela. Et ce n'était pas à lui de ramener le sujet sur le tapis. Pas maintenant. Il n'avait pas le droit de lui voler le bonheur qu'elle devait éprouver avec sa propre progéniture. Elle, plus que n'importe quelle autre, ne ferait probablement aucune différence dans l'amour maternel qu'elle attribuerait à chacune de ces boules de poils. Remettant les pattes sur Terre lorsque Envol du Corbeau demanda des nouvelles de sa sœur et de son frère, Griffe Rousse lui reporta toute son attention, remarquant qu'elle s'était écartée des petits d'Étoile de Rose pour reporter son attention sur sa propre fratrie. Hésitant à prendre la parole le premier, il jeta un coup d’œil discret à la tricolore qui semblait en proie à un voyage dans un monde que seul son esprit pouvait entrevoir, les yeux rivés sur les chatons collés à son ventre. Émettant un ronronnement amusé, il échangea un clin d’œil à Envol du Corbeau, le sourire sur le bout des babines. Ces petites vies étaient la nouvelle attraction du Clan et faisait toute l'attention de toute la famille d'Étoile de Rose. Véritable réunion de famille, il ne manquait plus que Museau Nuageux pour que tous soient réunis. Comment aurait-elle réagi en voyant ça ? Comment réagissait-elle en les voyant à présent ? Était-elle fière de voir sa famille unie malgré tout ? Ou bien les maudissait-il de s'être ainsi rapprochés, allant à l'encontre de ses recommandations depuis toujours ? Brisant finalement le silence pour répondre véritablement à l'écaille-de-tortue, il ne laissa aucun doute et aucune réflexion noire se dépeindre dans sa voix :

« Je vais bien, merci. Et toi alors ? »

Puis, reposant son regard sur les cinq nouveaux-nés, il miaula doucement :

« Ces boules de poils attisent beaucoup d'attention. »