Ne jamais dépasser les frontières - Griffe Rousse - Flèche Noire

Le soleil se levait tout juste dans le ciel, mais Perce-Neige était déjà bien réveillée. La guerrière n’était pas une grande dormeuse, le moindre bruit pouvait la réveiller et elle était par la suite incapable de se rendormir. Mais ça ne la dérangeait absolument pas, surtout lors de la Saison des Feuilles Vertes. Se réveiller à l’aube lui permettait de partir chasser avant que la chaleur ne soit étouffante. À vrai dire, sa partie de chasse matinale était devenue une habitude. Elle avait pour habitude d’aller chasser accompagnée d’une autre guerrière qu’elle appréciait mais celle-ci était récemment tombée malade. Perce-Neige en était très affectée et avait du mal à partir chasser sans penser à son amie.

Ce matin-là, elle était bien décidé à se changer les idées. Le clan était encore endormie, tout était silencieux. La guerrière était bien décidée à se trouver quelqu’un avec qui aller chasser. Alors qu’elle hésitait à réveiller un autre guerrier, elle aperçut un chat au pelage roux clair sortir de la tanière des guerriers. Elle reconnut immédiatement Griffe Rousse. Perce-Neige ne put s’empêcher de ressentir de la nostalgie en le voyant, il avait tellement grandi. Il avait désormais une carrure bien plus massive que celle de la guerrière. Et même si elle avait été la mentor de sa sœur adoptive, elle n’avait jamais vraiment eu l’occasion de sympathiser avec lui.

Elle avait participé à quelques entraînements à ses côtés et elle savait parfaitement qu’il avait sa place dans le clan. Perce-Neige décida donc de lui proposer d’aller chasser avec elle. À sa plus grande surprise, en s’approchant de lui, elle ressentit une certaine appréhension, elle le connaissait si peu et avait peur de se faire jeter. Lorsqu’il accepta, elle poussa un petit soupir de soulagement et ne put s’empêcher de se sentir stupide, il n’y avait aucune raison pour qu’il refuse après tout. Après avoir averti de leur petite sortie, ils quittèrent le camp. Afin de décider de leur destination, Perce-Neige échangea quelques mots avec Griffe Rousse.

« Je suis d’humeur à manger quelque chose d’un peu différent aujourd’hui, ça ne te dirait pas de chasser un peu plus proche de la forêt ? Ça fait des lunes que je n’ai pas eu l’occasion de manger de l’écureuil, ça me manque ! »

Perce-Neige remua la queue, satisfaite de son idée et se mit en direction de la forêt sans attendre la réponse du guerrier. Elle était très enthousiaste à l’idée de faire goûter quelque chose de différent aux plus jeunes du clan. Elle-même, plus jeune, avait quelques fois eu l’occasion de manger des proies plus exotiques que lui ramenait son père, ce qui lui avait toujours beaucoup plu.

Sur le chemin, la guerrière se montra très silencieuse, elle tendait l’oreille et reniflait tout autour d’elle à l’affût de la moindre proie, avant de penser à elle-même il fallait avant tout penser à nourrir le clan. Elle se sépara une ou deux fois de Griffe Rousse pour suivre les traces de proies qu’elle avait repérées. Une fois ses proies tuées, elle les enterrait puis rejoignait le guerrier pour qu’ils puissent reprendre leur route.

Lorsque le vent se fit plus calme, Perce-Neige comprit qu’ils étaient tout près de la frontière de leur territoire. La forêt était toute proche et la guerrière flaira de nombreuses odeurs inhabituelles : les odeurs de la forêt. Elle ne put s’empêcher de se demander comment était la vie sous les arbres. Les guerriers du Clan du Tonnerre pouvaient profiter de l’ombre offertes par le feuillage des arbres, ce qui rendait sans doute la chasse moins éprouvante lors de la Saison des Feuilles Vertes. Perce-neige sortit de ses pensées et se tourna vers Griffe Rousse.

« J’aurais adoré aller un peu plus loin mais on a atteint la frontière. Je vais voir si je peux quand même trouver quelque chose en restant dans le coin. On se retrouve ici tout à l’heure. »

Elle s’éloigna du guerrier et longea la frontière pour rester le plus proche possible de la forêt. Après quelques temps de recherches sans succès, Perce-Neige abandonna sa traque et fit marche arrière à la recherche de son compagnon de chasse. Elle était frustrée de ne pas avoir pu trouver d’écureuil mais le seul moyen d’en trouver était de traverser la frontière. Lorsqu’elle aperçut le guerrier, elle se mit à trottiner pour le rejoindre. Mais à mi-chemin, un petit bruit la fit s’immobiliser. Elle se baissa immédiatement, elle repéra un écureuil non loin d’elle qui s’était éloigné de la forêt. Elle se prépara à courir, la guerrière savait qu’elle était mal positionnée par rapport au vent et qui si elle s’approchait, il prendrait immédiatement la fuite. Elle avait confiance en sa vitesse et se sentait capable de le rattraper.

Elle fit quelques pas discrets puis soudainement elle se mit à bondir puis à courir vers l’animal. Sa proie prit aussitôt la fuite. Perce-Neige se concentra sur le petit animal qui courrait devant elle et en oublia totalement l’environnement autour d’elle. Plus rien ne comptait, elle devait rattraper sa proie. Elle se rapprocha de plus en plus de la queue rousse de l’animal mais alors qu’elle allait l’attraper, la petite bête grimpa sur un arbre. La chatte blanche esquiva de justesse le tronc et ne put s’empercher de pester devant son échec. Alors qu’elle reprenait peu à peu conscience de son environnement, l’odeur forte du Clan du Tonnerre la fit sursauter. Lorsqu’elle comprit qu’elle avait dépassé la frontière, elle paniqua et resta quelques instants sur place sans savoir comment réagir. Puis lorsqu’elle retrouva un peu de bon sens, elle fit discrètement marche arrière en espérant ne croiser personne.

« Le regret est une seconde erreur. »

L'aube prenait avec peine sa grande envolée. Comme chaque jour, l’astre de la nuit voyait son relai grimper lentement dans le ciel. Et si l’astre de nuit restait debout toute la journée, ce n’était plus son éblouissement, plus sa lumière, qui inondait le ciel et la terre. Le soleil l’effaçait totalement. Cet astre du jour, plus lumineux, plus volumineux et certainement plus présomptueux que son compère de la nuit, prenait toute la place, tout l’espace, effaçant sans regret son acolyte. Poussant sur ses membres invisibles pour gagner en hauteur, le soleil nimbait le bleu du ciel de jolies cicatrices zébrées oranges sanguines. Malgré une nuit de débauche, une nouvelle nuit veine à chercher le sommeil sans jamais y parvenir, Griffe Rousse prit pour parti de sortir de sa torpeur. Tendant d’abord l’oreille pour tenter de capter les signes du réveil de quelques-uns de ses camarades, il garda les paupières closes encore quelques précieuses minutes, donnant l’illusion d’être encore plongé dans un sommeil qui le fuyait. Les secondes s’écoulèrent avec une lenteur habituelle, une lenteur que le Guerrier aux poils roux avait appris à accepter. Il n’y trouvait toujours aucun plaisir, mais au moins, il ne rejetait plus ces nuits blanches comme au début. Tout finirait par rentrer dans l’ordre... Les Guérisseurs allaient bien finir par trouver une solution à ce problème. Ils allaient bien finir par trouver un remède à ce mal qui ravage les rangs des Clans. Ils allaient bien finir par trouver l’antidote à ce qui avait emporté celle qui lui avait donné la vie... Mais voilà, tôt ou tard, ils trouveraient. Mais rien ne changerait. Rien du passé n’évoluerait. Ce qui avait été ne serait plus jamais. Elle n’était plus ici. Elle les avait rejoints. Elle était devenue l’une d’entre eux. Elle chassait dorénavant sur les terres du Clan des Étoiles. Et lui devait continuer de chasser sur les siennes. Ses camarades avaient encore besoin de lui. Le Clan du Vent avait encore besoin de lui.

Tirant un trait définitif sur la nuit, les paupières jusqu’alors closent du Guerrier se soulevèrent lentement. Papillonnant un moment comme pour s’accoutumer à la luminosité ambiante, il prit le temps d'être certain d’y voir net avant de cesser son petit manège. Inutile de se précipiter et de commettre un impair. Il n’y gagnerait rien à marcher sur la patte d’un de ses camarades ou sur un morceau de queue qui dépasserait d’un des tapis d’herbes leur servant de nid douillet. Laissant s’échapper de sa gueule un bâillement quasi-silencieux, Griffe Rousse s’attela ensuite à une rapide toilette. Se délestant des poussières et brindilles posées et entremêlé dans son pelage, il le lissa finalement de quelques coups de langue. Satisfait de son œuvre, le rouquin délaissa bien vite son brin de toilette pour étirer ses membres un à un. Puis se soulevant du sol, il se mit à réfléchir à ce qu’il trouverait encore à grignoter sur le tas de gibier. Il n’eut pas le temps de trop échauffer son esprit, qu’à peine trois longueurs de queue-de-renard franchies, qu’un éclat de fourrure blanc entra dans son champ de vision, fondant presque droit sur lui. Braquant ses mirettes bleutées en direction de la silhouette féline qui s’avançait, Griffe Rousse découvrit et reconnu sans peine l’une de ses camarades : Perce-Neige. Elle était de plusieurs lunes son aînée. Elle avait même été le mentor de sa sœur, Ruisseau de Rose. Se plantant juste sous son museau, la jolie femelle au pelage immaculé et aux yeux aussi bleus que les siens, laissa passer une ou deux secondes avant d’entamer sa demande, laissant entrevoir au mâle le doute qui l’inondait. Pourquoi est-ce qu’elle hésitait ? Accueillant les mots de la blanche avec un large sourire hypocrite, Griffe Rousse tentait de faire honneur à sa réputation. Plutôt amical avec les autres, il était bien rare qu’il prenne la mouche et rejette qui que ce soit. Toisant avec douceur son aînée, il avait deviné avant même qu’elle n’ouvre sa gueule la proposition qui allait en découler.

Et même s’il n’avait pas plus envie d’aller chasser que cela, même s’il aurait bien été tenté de prendre un morceau avant de partir où que ce soit, le rouquin n’eut pas le courage et l’ardeur de refuser quoi que ce soit. Acceptant même avec le sourire et l’espoir que cela lui changerait un peu les idées. Laissant la Guerrière s’occuper de prévenir ceux qui devait l’être de leurs départs, le rouquin lui délégua ainsi toutes les responsabilités. Après tout, elle était à l’origine de cette idée, qu’elle mène à bien ses envies. Passant l’entrée et sortie du camp sans regarder une seule fois par-dessus son épaule, le Guerrier n'eut pas le temps de questionner sa compagne de chasse pour connaître la destination que cette dernière claironna qu’elle voulait grignoter de l’écureuil. Quelque peu surpris par la chose, il n’eut pourtant pas l’occasion de montrer une quelconque mine déconfite que sa camarade s’élança vers le sud, sans même attendre une réplique de sa part. Pas le temps de se décontenancer ou de ne pas être d’accord avec le lieu de traque, le mâle haussa simplement les épaules, marquant ainsi une très légère pause, avant de repartir sur les talons de sa camarade. En chemin, ils eurent l’occasion d’attraper quelques proies chacun, un joli petit lièvre que Griffe Rousse prit la peine d’enterrer brièvement pour qu’aucun charognard ne vienne se servir avec leur retour. Et les Quatre Chênes apparurent bien vite, les plaines loin derrière, la forêt et le couvert de ses arbres droit devant. Cet environnement n’avait jamais particulièrement attiré le Guerrier, préférant se sentir libre de ses mouvements sans se voir restreindre par la présence de tel ou tel végétal. Le vent, compagnon de toujours de ceux qui chassaient dans les Landes, lui manquerait aussi. Cette sensation grisante de liberté quand le vent souffle dans votre dos, vous poussant à aller plus vite.

C’est Perce-Neige qui reprit de nouveau la parole, laissant pour mot d’ordre une séparation aussi près des frontières du Clan du Tonnerre. Les oreilles du rouquin captèrent les mots de cette dernière et lui prit soin de bien repérer l’endroit où ils se séparèrent et se donnèrent en même temps rendez-vous, tandis que l’autre fila à travers les arbres. Comment pouvait-on apprécier un tel endroit ? Pourquoi est-ce qu’elle avait eu cette idée folle de venir chasser ici ? Quelle drôle d’envie que de vouloir manger de l’écureuil songea le Guerrier. Griffe Rousse finit par lâcher un profond soupir, Perce-Neige était maintenant bien trop loin pour l’entendre. Traînant des pattes à l’idée de chasser autre chose que des lièvres, il se mit pourtant à humer l’air, laissant sa gueule légèrement entrouverte pour mieux capter les effluves. L’odeur de la forêt avait quelque chose de spécial, au-delà de l’odeur du Clan du Tonnerre porté par le vent, Griffe Rousse repéra l’odeur de ce qu’il avait identifié comme étant un merle. Pourquoi pas après tout. Se mettant sur la piste de l’animal, il croisa la piste que Perce-Neige avait suivie, sans pour autant y prêter trop attention. Après tout, elle devait connaître les risques qu’elle encourait en ce lieu et allait bien être vigilante sur les frontières à ne pas dépasser... Grapillant du terrain sur le petit oiseau noir, il finit par avoir un visuel sur ses plumes de jais. Approchant avec agilité, dans un silence de plomb, le Guerrier coupa sa respiration dans les dernières longueurs à franchir. Et répondant à l’appel inaudible de son instinct, ses membres fléchirent pour le faire décoller du sol et retomber avec souplesse sur le pauvre volatile. Ne prenant pas la peine d’en faire une cérémonie, il acheva sa proie d’un coup de crocs dans la nuque. Il prit alors le temps de reprendre une respiration normale et de remercier le Clan des Étoiles de lui offrir la vie de cet oiseau pour les siens.

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